Projet Epsilon

Avant

Nous étions remontées rapidement vers sa zone de recharge. Bon. Ce n'était pas vraiment une zone. Mais un gros truc abandonné là, sur laquelle un fou furieux avait joué à l'architecte. Il n'y avait là rien de scientifiquement calculé, exactement à sa place et je n'étais même pas sûr en m'approchant que la notion de flambement des poutres avait un sens pour le gars. Mais il semblait que cela convenait à mon amie, alors.

Finalement, après le passage de plusieurs toiles, Mattie m'indiqua un endroit où déposer la boîte. J'eus beau essayer de faire attention, les vibrations quand je la relâchais un peu trop haut firent basculer deux étagères - enfin, techniquement, une se décrocha et l'autre bascula - et ce qui s'y entassait finit au sol.

- « Oh... zut... Je suis désolée. Les vibrations de la boîte ont dû remonter à travers le sol et ses piliers. Tu sais qu'ils sont inclinés pour l'un à 6.23° et l'autre à 2.54° ? Ce n'est pas bon pour le flambement, et je ne te parle pas de la résonance si le sol devait se mettre à trembler. Sincèrement, si le sol tremble, fuis loin de ce truc. ».

Je souris. Je suis un brin excitée.

- « Alors, tu me montres tes trésors ? ».

Avant

Si le véhicule était bien celui qu’il cherchait, il se passait quelque chose à l’intérieur, un bruit de ouf s’entendait du dehors, comme si quelqu’un saccageait le contenu du camion.

Le premier réflexe du blond fut de se précipiter, avant qu’en un éclair il se dise que ça ne le regardait pas, après tout, personne n’appelait à l’aide, et même si ça avait été le cas, il faut réfléchir avant d’agir, il ne connaissait pas les occupants.

Le Corbac sur l’épaule qui croassa plus de curiosité que d’effroi, il stoppa sa progression et tendit l’oreille. A ce train-là il n’aurait bientôt plus de raison d’approcher, tout ce qui pouvait s’échanger allait finir brisé.

L’incident était clos ? Il entendait une voix.

- Mac Gyver ?

Pourvu que la nana du comptoir n’ait pas rêvé ce nom comme elle avait imaginé la proximité du camp de base…

Oui la boîte à Satisfaction était remplie de petits pièges protecteurs et en plus comme je le découvris après l’avoir aidée à transporter la « chose » jusque sous ma tente, non sans transpirer sous l’effort – je n’étais pas terminator moi  hein! -  elle vibrait. …. Une boîte à satisfaction qui vibrait ! Là ça aurait pu franchement prêter à rire.

Mais non ! Pas après tout ce que j’avais découvert sur Satisfaction qui continua du reste de me servir des petites explications qui même moi, me perdaient un peu en route.

-hmmff, ouais,… apparemment ils n’y sont pas parvenu si c’était pour t’empêcher d’en sortir, dis-je non sans poser cette foutue caisse par terre, avec un nouveau pffff de soulagement et m’essuyant mon front au passage, après l’effort que j’avais du fournir pour porter tout ça. Alors que Satisfaction elle, elle avait fait ça tranquille.

Je me laissai tomber sur une des chaises pliantes en lui lançant un regard de biais, quelque peu méfiante n’est-ce pas ?
J’oubliai pour le moment les étagères renversées. J’aurai le temps plus tard de me pencher sur le tri de toutes les petites pièces que j’y avais entassées au fil des jours. Par contre je retins ce qu’elle me dit sur ces foutues vibrations et sur son avertissement au sujet de tremblements de terre. Je lançais un regard soupçonneux à la boîte.

- T’es en train de me dire que ces vibrations pourraient être assez importantes pour tout faire s’effondrer ?

Je soupçonnais plus un geste maladroit de sa part quand elle avait posé la caisse. Mon regard alternant de l’un à l’autre. J’avisai alors mon calepin et y notais quelques petits détails que je partagerai plus tard avec Judéo.
Et c’est là que j’entendis qu’on m’appelait juste devant.

- Ben …. Regarde là-dedans, dis-je à Satisfaction qui me demandait de lui montrer mes trésors. Il y a sans doute une partie de ce que tu cherches.

Il y en avait en tout cas une partie étalée au sol. Peut-être qu’elle pourrait en profiter pour les remettre en place tant qu’elle y était. Quant à moi je soulevai le pan de la tente pour la fixer au montant et aviser qui venait de m’appeler. Je restai un instant là à observer l’inconnu qui en faisait de même pour moi. Un nouveau hein, je l’aurai remarqué avant sinon.... SURTOUT que.... il avait carrément un corbeau perché sur son épaule, le ...charmant monsieur.

- Salut ! lançais-je avec un sourire curieux. Que puis-je faire pour vous ?

Dans le même temps, je me tournai régulièrement vers Satisfaction pour vérifier qu’elle ne me démontait pas tout en fouillant dans les caisses ou dans ce qui était déjà renversé. Allez savoir si j'avais pas invité une miss catastrophe sous ma tente !

Je jetais un coup d’œil vers le nouveau venu. Un nomade quoi.

Bref, je reportais mon attention vers plus important. Ce qu'il y avait au sol. J'observais tout ce qui était tombé.

Puis, je récupérais rapidement 17 composantes, laissant le reste où il était.

Avant même que l'homme au corbac réponde, je me tournais vers mon amie.

- « Bon, là j'ai 19.6% de mes besoins. Tu as autre chose ? ».

C’est la nana rousse « Mac Gyver » ? après tout pourquoi pas… En tout cas elle est accueillante, elle lance un grand sourire et demande « Que puis-je faire pour vous ? ». Qu’est-ce qu’elle peut faire ? Il n’en sait foutre rien, déjà regarder ce qu’il propose ?

L’autre, la blonde, a l’air d’un morceau de métal glacé, il la regarde étrangement, essayant de capter les pulsations de son cœur, mais bon, s’il sait ralentir le sien, il n’a pas grand pouvoir sur celui des autres. En tout cas, elle lui fait froid dans le dos, et cette façon de s’exprimer « là j'ai 19.6% de mes besoins ». Donc une cliente.

Il sent le corbeau nerveux, tiens, à lui aussi elle fait un effet bizarre la blonde ou c’est juste d’être enfermé ? Il se retourne et lâche l’oiseau qui s’envole en croassant, non sans avoir fixé les yeux magnifiques de la rouquine. Cette bestiole est trop seule avec lui, elle est en train de devenir psychopathe. Il espère juste qu'aucun con n'aura envie de le tirer pour bouffer du corbac.

Il sort lentement sa batterie, et les capteurs solaires qui l’accompagnent.

« Au comptoir ils m’ont dit que ça peut t’intéresser ? J’ai d’autres trucs, des puces, des circuits intégrés, des transistors, des condensateurs, des résistances, des diodes et led, et bien sûr de la visserie simple. Tout ce qui ne prend pas trop de place, matos de qualité, la plupart encore emballés »

Il sort quelques échantillons, les déballant d'une sorte de pièce de feutre assez épaisse dans laquelle ils sont posés et enroulés, sous leur blister plastique, en prenant soin de ne pas trop poser les doigts dessus, même dans ces conditions.

Il l’a tutoyée ? Ouais, le « vous » a du mal à entrer dans son vocabulaire… Et puis l’essentiel, c’est le résultat, pas les salamalecs et les usages ! Même dans l’Est il ne l’utilise pas, pourtant il voit à chaque fois ses « contacts » se raidir de dégoût.

Des puces, des circuits intégrés, des transistors, des condensateurs, des résistances ?

Ni une ni deux, je m'avance et je rafle la marchandise.

- Vous en avez d'autres ?

19,6% hein ? Et elle avait calculé ça en deux temps trois mouvements. Ok, je ne savais pas à quoi j’avais affaire, mais Satisfaction me paraissait de plus en plus  « étrange ».

- Oui oui, sans doute…. Il faut qu’on regarde ça, une minute s’il te plaît.

Je reportai mon attention sur le visiteur face à moi. Et avant de me répondre il extirpa une batterie solaire de son sac. Mon regard s’illumina.

- Ah oui ! jolie trouvaille !

Je manipulai prudemment tout ça, et je constatai vite que ça avait l’air complètement neuf. Okay ! Et il avait d’autres trucs à proposer aussi, le tout encore emballé ? Waw ! Mais avant que j’aie eu le temps de répondre, Satisfaction s’avança, intéressée par ses pièces.

- M’enfin ?
Puis après un soupire :
- Bon… la dame est intéressée par ton matériel, reprenant à mon tour le tutoiement.

Moi tout m’allait de toute façon à condition de rester poli. Pour ça que j’avais mon propre oiseau de garde, enfin Krutch le perroquet était faux lui, contrairement au corbeau qui avait fini par s’envoler.

Sauf qu’avant de se servir, la miss, il me fallait savoir ce que ce gars espérait en échange.

- Et tu voudrais quoi en échange ?

En échange, pourquoi en échange ?

Je souris, tellement la question de mon amie me paraît cocasse.

- « Mattie, mon amie. Il nous l'a mis sous le nez. C'est donc qu'il nous permet de le prendre, non ? C'est comme ce que j'ai fait tomber, tu m'as laissée me servir sans rien me demander en échange ».

Avant que notre inconnu au sac rempli de trésors eut le temps de répondre, Satisfaction mon amie, hem, intervint tout sourire pour se demander pourquoi je voulais quelque chose en échange….et l’exemple qu’elle me donna pour preuve, m’arracha une grimace entre surprise et sourire crispé.

- Ah non non, tu m’as bien donné quelque chose en échange de ces pièces, ta boîte, tu as oublié ? Donc si tu trouves ce qu’il manque à ta liste dans ce que ce monsieur nous a apporté, il va falloir que moi je trouve ce qu’il souhaite en échange. C’est le principe même du troc ! hm ? …Il nous donne quelque chose et on lui donne autre chose en échange.

Je me retournai vers l’inconnu.

- Pour la batterie, si elle n’intéresse pas Satisfaction, oui c’est son nom, précisais-je pour mon visiteur. Moi elle m’intéresse, enfin à condition que j’aie quelque chose qui t’intéresse toi en retour ?

Un truc en échange ?

Je crois que je saisis le concept.

Fourrant ce que j'ai donc troqué au blondinet dans mes poches, je lance un - « Je reviens ! ». en me dirigeant vers la sortie.

Non mais vrai ! Est-ce que dans l’Ouest ils sont tous comme ça ?! Elles se foutent de lui là ? Est-ce qu’il fait tellement péquenot ?

La rousse l’occupe un moment en lui disant que sa batterie l’intéresse, tiens ! Bien sûr qu’elle l’intéresse, elles intéressent tout le monde ses batteries, on n’a même pas besoin de les charger avant de tester ! Et l’autre se barre avec ses petits sachets dans les poches après avoir fait le numéro de la demeurée qui ne sait pas que le commerce c’est donnant donnant ?

Il lui faut trente secondes pour réagir, dix de trop, vingt même peut-être parce que la donzelle est bizarre c’est le moins qu’on puisse dire, il ne ressent rien, pas la moindre aura, pas de sang qui circule ? ou alors elle a subi une mutation qui la masque aux prédateurs ?

- Hey ! Mais tu sors d’où toi ? Et oui, je peux en avoir d’autres… Si ça me rapporte autre chose qu’un…

Il hésite, elle a dit merci ? même pas ? il finit sa phrase en s’étranglant à demi « merci ! »

- Tu poses ça et on discute, je viens de me payer un mois et demi de marche pour trouver des tuyaux et d’autres points d’approvisionnement, tu crois pas que c’est pour faire cadeau ? Tu veux pas non plus un joli emballage avec des nœuds pour offrir ?

Il la regarde, faisant un geste pour la rattraper et la stopper.

Elle est capable de lui répondre « non merci pour l’emballage, j’en ai pas besoin, je calcule à 98.56 % que c’est inutile ! »

Je n’sais pas ce qu’elle comptait ramener pour échanger avec ce type, mais je commençai à m’inquiéter un peu. Que lui restait-il hormis sa boîte ? ….ah des fringues peut-être ou … sa tente, je ne voyais rien d’autre.

En attendant le gars face à moi, ne parut pas apprécier l’attitude de Satisfaction. Euh ouais, c’est qu’il ignorait que la miss souffrait d’une forme d’amnésie…ou pas. On avait peut-être juste oublié de lui programmer quelques interactions sociales dans sa mémoire centrale hm ?
Pourtant je l’avais vu sourire tout à l’heure, preuve qu’elle n’était pas complètement dénuée…..d’empathie ?

- Ok ok, elle va voir si elle trouve un truc à échanger contre ton matériel …..

Bien que je lui avais déjà proposé de lui fournir ce dont elle avait besoin hormis les lunettes. Mais peut-être que ce type avait ce qui lui manquait à sa fameuse liste ?
Mais l’autre s’énerva alors je levais les mains en un geste d’apaisement avec un sourire conciliant :

- Non non, ne t’inquiète pas, il n’est pas question de faire cadeau de quoique ce soit. Je m’arrange avec Satisfaction, et toi tu me dis ce que tu espères en échange de tout ça ? J’ai quelques outils, des pièces détachées, des lecteurs mp3 ? des lampes électriques ? ou des réchauds reconvertis. J’ai même une machine à café. Alors, qu’est-ce qui pourrait t’intéresser ?
Puis toujours en souriant je lui demandai :

- Et sinon tu viens de quel coin ? Je t’avais jamais vu avant.

Un peu dépité, je regardais Mattie, l'air de dire : je fais quoi là ?

Du coup, pour l'instant, je ne bougeais plus.

C'est dommage, j'avais repéré d'autres choses dans le campement en venant jusqu'ici qui auraient pu l'intéresser, j'en étais sûre.

« Je m’arrange avec Satisfaction, et toi tu me dis ce que tu espères en échange de tout ça ? Alors, qu’est-ce qui pourrait t’intéresser ? Et sinon tu viens de quel coin ? Je t’avais jamais vu avant. »

Il soupira, au moins le voyage lui aurait appris que les fous sont partout… Ok, elle s’arrange, si lui peut s’arranger avec elle, au moins elle comprend de quoi on parle.

« Là, j’arrive de Boston, enfin autour de Boston… C’est la dernière zone à peu près peuplée que j’ai traversée, j’ai obliqué par le grand sud, chez moi… Pour récupérer mon matos et me recharger en marchandises. Je ne suis pas difficile, tu dis ce qui t’intéresse, et ce que tu vends le moins ICI, si c’est pas de la merde, moi je l’embarque et je le vends ailleurs… Des machines à café, je peux en avoir facilement, toutes neuves… Des lecteurs mp3 aussi, mais comme c’est pas énorme je peux en prendre un ou deux, des pièces détachées toujours… c’est ce qui est le plus demandé, dans ton bled aussi je pense ? »

Il sourit, il y a tant de choses qu’il peut avoir, à condition d’avoir une ou deux victimes à offrir…

« Je peux prendre des commandes aussi, mais il faut que ça soit pas trop lourd, ni trop encombrant » Il n’ajoute pas « Ou alors qu’on se monte une expédition », il ne la connaît pas assez, et puis, il n’aime pas trop l’idée que quelqu’un puisse revenir de sa caverne aux trésors.

Il guette la blonde de l'oeil, inquiet quand même, heureusement il n’a pas tout sorti ! Le croassement du corbeau lui fait tourner la tête et il tend le bras, d’un geste réflexe, l’oiseau se pose et monte sur son épaule, tranquillement, dans un geste de fauconnier sorti d’un lointain passé. Il regarde Satisfaction, elle a un de ces noms ! Enfin il est mal placé pour parler, à ce qu'il a lu, il porte le nom d'un truc qui venait chercher les morts sur les champs de bataille dans il ne sait quel culte...

« T'es d'ici ? T'as été blessée ? ou malade ? Tu offres quoi en échange toi ? »

Si elle ne percute pas qu'il la trouve pour le moins étrange... Il n'est pas là pour faire des politesses après tout. Il se fout une baffe mentale, il a encore dit "vendre", ils ont l'air de vouloir dire "troquer" dans l'ouest, mais quelle différence bon sang ! Vendre, c'est donner un truc en échange d'un autre non ?

Pour lui même, ça lui échappe « Ce que je voudrais, c'est aller voir cette putain de ville... il doit y avoir des trésors là-dessous.»

Je ne crois plus avoir saisi. J'ai saisi le concept.

Je suis toute excitée et du coup je parle un brin plus fort que d'habitude.

- « Et bien voilà ! Je l'ai le truc, enfin le machin. Bref, quelque chose à échanger. Mieux que la carcasse de TZ 53, N° série 00190124 à trois tentes d'ici à  laquelle je pensais . Il donne ce qui m'intéresse et t'intéresse, et on l'emmène avec nous à la porte dérobée.».

Satisfaction s’est arrêtée avant même de quitter la tente, en mode hésitation tandis que mon énergumène face à moi, m’explique qu’il peut me « vendre », ce que je lui propose ici-meme. Quoique son matos à lui, a l’air neuf, et ça c’est assez peu courant pour le souligner !
Je jette un œil à la batterie solaire et dévisage ce type qui dit venir de Boston.

- Pas eu trop de problème avec les cols blancs ?

Je soupire, toujours en train de réfléchir à ce qu’il vient de me proposer, me prendre tout ce qui n’intéresse pas les autres et me ramener des trucs plus intéressants à la place. Qui refuserait une telle offre ? Sauf que je ne comprends pas trop son intérêt dans toute cette histoire. Il y gagne quoi lui ? Moi à la limite, j’échange avec de la nourriture, des fringues, des choses qui nous sont utiles à Jud et à  moi, mais lui non, il veut juste mes « invendus ». Je finis par répondre après un haussement d’épaule :

- Ben ici ce qui est le plus recherché, ce sont des batteries, piles, tout ce qui peut fournir du courant. Ou des trucs plus rares, appareils électroniques voir même des médicaments.

Je sonde son regard, mais le gus se tourne alors vers Satisfaction et lui demande si elle est blessée ou malade. J’étouffe de justesse un gloussement. Faudrait pas vexer « ma nouvelle amie ». hem. Donc je les regarde tour à tour, attendant la suite.  Le gars finit par avouer qu’il serait intéressé pour aller à SF. Et la réaction de Satisfaction vaut le détour. Elle veut l’emmener avec nous jusqu’à sa porte. Hahahaha, ça alors ! Je me tourne vers notre homme au corbeau, étudiant sa réaction.

« Pas eu trop de problème avec les cols blancs ? »
« Ben ici ce qui est le plus recherché, ce sont des batteries, piles, tout ce qui peut fournir du courant. Ou des trucs plus rares, appareils électroniques voir même des médicaments »

Il enregistre et n’a pas le temps de répondre, la folle sort une tirade qui le laisse bouche bée :

« Et bien voilà ! Je l'ai le truc, enfin le machin. Bref, quelque chose à échanger. Mieux que la carcasse de TZ 53, N° série 00190124 à trois tentes d'ici à laquelle je pensais. Il donne ce qui m'intéresse et t'intéresse, et on l'emmène avec nous à la porte dérobée »

« Tu connais une porte dérobée ? Un truc qui permettrait d’entrer ? Qu’est-ce qu’il y a là-bas ? Ces drones dont on parle ça réagit à quoi ? la chaleur ? les pulsations cardiaques ? »

Il se retourne quand même vers la rousse, « Mac Gyver », elle le regarde presque aussi bizarrement que lui regarde l’autre fille, il se doute bien que ses propositions sont suspectes, ils paraissent tous crever de faim ces gens, un type qui refuse de la nourriture et qui prend le surplus des uns pour échanger contre des trucs valables…

« Des batteries j’en ai que deux, celle que tu as vu et sa jumelle, ça prend pas mal de place, et je voyage à pied. J’ai pas de médocs et aucun moyen d’en avoir »

Il n’ajoute pas « et ça me sert à rien, si je tombe malade je créverai sans doute, mais si je me blesse, je me débrouille bien sans ».

« Les appareils, je peux te montrer ce que j’ai en commande, mais le temps d’aller les chercher et de les ramener, il faut compter deux mois, un peu moins si je trouve à me faire transporter, mais en général prendre un « taxi » coûte beaucoup trop cher… Quand les mecs n’essayent pas de te faire simplement la peau pour te voler »

Il sort un calepin, enfin un cahier, petit format, dedans il y a son stock, une page avec des quantités et la mention du nom qui figure sur l’emballage, quand c’est pas clair, il y a ajouté sa légende personnelle, et des dessins, des dessins très clairs et réalistes, il a un bon coup de crayon ; et l'autre en vis-à-vis avec le dessin. Un joli book, il met à jour la quantité à chaque prélèvement, mais il y a de quoi fournir le monde pendant une vie... Enfin, au rythme qui est le sien.

Il le tend à la marchande « Regarde, il y a des trucs, j’ai eu beau lire les modes d’emplois, j’ai jamais compris à quoi ça servait, mais ça doit pouvoir se démonter, la plupart sont bourrés de composants. Sur moi j'ai des cellules pour faire des panneaux solaires, les panneaux assemblés j'ai laissé, si ça t'intéresse j'y retourne souvent, là je voudrais explorer le coin avant »

Il répond de façon détournée à la première de ses questions…

« ça bouge là-bas, ça bouge pas mal à ce que j’en ressens… Moi, je fournis des bouquins aux prêcheurs, si tu en as, surtout s’ils sont sur leur liste « d’interdits... »

Il la laisse feuilleter, surveillant qu’elle n’arrache pas de page ou n’abime pas sa bible, et il leur demande à nouveau à toutes les deux.

« On peut y rentrer dans ce blockhaus alors ? Si vous parliez de porte ? »

Je souris de toutes mes dents.

- « Rentrer, c'est presque sûr. Sortir, je ne garantis pas. Mais avec ton truc à plumes, là, on a des chances. Ils ont 67.985 % chance seulement de l'atteindre, et si on ne s'en prend pas à eux, ils classeront le volatile en danger le plus grand, puisque le plus difficile, et volant. Ils n'aiment pas ce qui vole : ils chercheront toujours la suprématie aérienne en priorité. Lui, je ne garantis donc vraiment pas qu'il ressorte. Mais nous. On a nos chances. Encore plus si tu avais d'autres trucs qui volent.». [

Valravn pivota tandis que la fille blonde, Satisfaction, lui expliquait avec force statistiques que le Corbac était une cible idéale pour les cyborgs et qu’ils le poursuivraient lui en priorité parce qu’il volait… Il eut un air tellement stupéfait que même elle aurait dû percuter !

« Le Corbac ? Mais j’ai besoin de lui ! Qu’est-ce qu’ils cherchent tes trucs ? Comment ils savent qu’il y a quelqu’un en approche ? Il y a des systèmes d’alarme ? ça réagit au mouvement ? à la chaleur ? au bruit ? tout à la fois ? Et pourquoi ça irait menacer plus du volant que du rampant ? »

Il lançait ses questions, puis posa l’ultime, la seule importante, enfin non la PLUS importante.

« Et comment tu sais tout ça ? Comment tu peux énoncer avec une précision pareille qu’ils poursuivraient le Corbac plutôt que toi ou moi ? ou elle » ajouta-t-il en montrant Mattie.

Aaa Haaa ! Finalement cette porte dérobée n’était plus si secrète que ça, puisqu’elle venait d’en causer avec un parfait inconnu. Moui bon ok, à ses yeux nous devions tous être de parfaits inconnus, mais quand même, son secret allait finir par ne plus en être un du tout à ce rythme. Et celui-là, allez savoir s’il n’allait pas le crier sur tous les toits. Ce n’est pas parce que monsieur le blondinet était beau gosse qu’on pouvait lui faire confiance.

Surtout que la nouvelle parut autant l’intéresser que je l’étais. Ce que je pouvais parfaitement comprendre. Après tout ne suggérait-elle pas avoir le mot de passe pour la caverne d’Ali-baba, le fameux Sésame pour accéder aux trésors les plus fous ?
Mais j’oubliais la porte, pour m’intéresser au carnet de notre « nouvel ami », examinant page par page de son petit bloc pour découvrir une liste d’objets plus intéressants les uns que les autres. Moui et bien on allait sans doute faire affaire, puisqu’en plus, il ne réclamait quasiment rien en échange.

Et tandis que je continuais de parcourir son carnet, mon attention ne manqua pas la conversation qui se déroulait à côté de moi, entre misse blonde et monsieur blond. J’oubliais un instant de faire semblant de lire, pour dévisager Satisfaction qui proposait carrément d’envoyer le corbeau du monsieur en leurre pour les drones et autres robots de SF.

Ce qui agita un peu plus notre « nouvel ami » bien sûr pas ravi d’apprendre qu’elle était prête à sacrifier son cher compagnon. Oui non, l’empathie, ce n’était pas encore ça.  Par contre, on ne pouvait pas dire qu’elle manquât de précision.

En attendant pour ma part j’avais relevé le principal. Elle suggérait qu’on pouvait y entrer par sa porte, mais pas en ressortir.

- Ok, donnnc, les coupais-je, on a deux volontaires pour entrer par la porte super secrète hem. Mais…vous voulez y aller comment là-bas ? A pied ? y’a quelques bornes à faire quand même. Moi je peux vous y emmener avec Judéo et son Pick up. Mais je n’irai pas plus loin que la porte.

Parce qu’entrer dans une ville à la réputation de SF sans garantie de pouvoir en sortir, hein… non merci. J’avais déjà donné dans le genre prisonnière. Puis je me tournai vers Satisfaction.

- Et....j’ai plein de trucs qui volent. Je souris, et lui désignai mes nombreuses girouettes, et autres cerfs-volants colorés. Si vraiment elle voulait des appâts pour les drones, pourquoi ne pas utiliser ces gadgets issus d’un autre temps ?
Je rendis le carnet à monsieur dont j’ignorai toujours le nom.

- Ok, toi et moi on va pouvoir faire affaire, enfin, si tu reviens entier de cette expédition, dis-je avec un sourire un bin crispé.

Sinon il pouvait très bien me dire où je pouvais trouver tous ses trésors avant de partir, comme une sorte de testament hein ? Parce que ça serait con de laisser perdre toute cette belle marchandise.

« Mais…vous voulez y aller comment là-bas ? A pied ? y’a quelques bornes à faire quand même »

Pourquoi pas ? Il avait bien rallié Boston à SF à pied ? ça prendrait un moment, mais ils arriveraient ? Mais la blonde n’avait pas répondu : à quoi réagissaient les machines qui surveillaient, y avait-il autre chose que ces machines ? Y en avait-il sur le trajet entre le camp et la porte ? Avait-elle une vague idée du plan de la ville ? Connaissait-elle les lieux ?

Lui avait une bonne détection du « vivant », mais à part à leur bruit il ne situerait pas des drones ou des cyborgs, et si ces trucs tiraient à vue sur tout « truc volant » pas question d’envoyer le Corbac en éclaireur.

« Ok, toi et moi on va pouvoir faire affaire, enfin, si tu reviens entier de cette expédition »

Il la regarda en souriant « Je reviens toujours vivant, mais je n’entrerai pas avec si peu d’infos ».

Et il se retourna vers Satisfaction… Elle était peut-être douée pour estimer vos chances de crever, mais pour répondre à des questions simples ! Qu’est-ce qu’il fallait ? Qu’il lui tire les vers du nez avec une pince ?

« Sors nous tout ce que tu sais de l’endroit, et au passage, explique donc comment tu le sais ? »

C'est qu'il insiste blondinet.

Je hausse les épaules.

- « Vous avez eu des parents ? Non ? Ils vous ont appris des choses ? Et bien, moi, ma mère m'a appris beaucoup de choses. Simplement... Comment dire. Je ne m'en souviens pas toujours tout de suite. Tout ce qu'elle m'a appris me revient fonction de stimuli extérieurs. Là, par exemple, j'ai vu votre truc avec des plumes. Et je me suis rappelé ce qu'elle m'a fait mémoriser sur les Cybers de SF» (je pointe un bras vers un chemin. Si on regarde bien, on peut voir un amas de ferraille le long d'une toile de tente, désossé. Sans doute un Cyber détruit pas les occupants de la tente et démonté pour en récupérer la moindre composante, sauf ce qui était trop complexe) - « Ca par exemple, avant de le croiser, je n'aurais rien pu vous dire sur un TZ 53. Là, je peux vous dire qu'il a un logiciel 3.22MhZ, traite 62 000 informations par nano-secondes, dispose de deux fardeaux d'armement, un lourd en général - 20 ou 30mm à 96 munitions - et un ALI avec 700 à 1000 cartouches selon le diamètre. Il a une routine d'attaque qui le rend attentif à 750m, en acquisition à 500m et en tir lourd à 350m et ALI à 100m. Comme il n'a pas de gyro-stabilisateur, il perd 16.8% de son efficacité au tir en déplacement, ce qui lui confère cependant 54.25% de chance d'impact, écart +/- 0.0026% fonction de la déclivité du terrain - il n'aime pas ne pas être précisément à l'horizontal pour ses abaques de correction. Toute diminution de sa visibilité optronique, comme elle n'est pas compensée par de l'optique améliorée, réduit assez drastiquement sa réactivité - ses routines si vous voulez - et bien sûr dégrade ses statistiques d'impact. Pour la faire court, un bon combattant lent et lourd de première ligne pour faire un peu de vide avant d'engager des éléments plus performants, mais plus coûteux. Ah, et celui-ci est le 0019 0124, ce qui signifie qu'il est affecté aux forces terrestres de SF, qu'il a été construire en 2219, et qu'il est le 124° dans sa série. Dommage pour lui, parce que les deux défauts majeurs du modèle TZ 53 ont été corrigés qu'à partir du 170° de la série, où il reçoit un gyrostabilisateur pour améliorer ses performances en mouvement, et deux nouveaux moteurs japonais pour augmenter sa vitesse sol de 7,3 km/h, ce qui lui donne une allure de 19.5 km/h en marche, et une capacité d'accélération à plus de 26 km/h. Mais inutile de dire qu'en accélération, le gyrostabilistateur japonais, à bas coût, n'arrivait plus à rien compenser. »

Les deux me regardent.

- « Ce n'était pas intelligible ce que j'ai dit ? Je suis allée trop vite ?»

Je les regardai tour à tour. Donc à pied ? ou pas ? S’ils y allaient à pied, ils n’avaient pas besoin de moi, non ? Si ? Roh j’en perdais mon latin à force. En même temps si je voulais voir où se trouvait cette porte, je n’allais pas avoir le choix. Ok… apparemment ce détail n’avait pas d’importance pour eux, vu que je n’eus pas de réponse.

En revanche mon nouveau fournisseur d’objets rares, avait lui-même des questions sur ce qu’ils croiseraient de l’autre côté de l’enceinte. Des robots, des drones assurément, mais comme elle avait l’air d’en connaître un sacré rayon sur le sujet, monsieur beau gosse était intrigué, et moi aussi. Donc capteurs de chaleur, de mouvement ou de bruit ? Alors ?

Mon regard revint sur Satisfaction. Parce que oui, il me serait aussi utile de savoir tout ça, comme de savoir comment elle savait tout ça ! Autant tendre l’oreille donc !

Sauf que la réponse qu’elle donna aurait perdu n’importe quel non initié dans le domaine par cette profusion de détails techniques. Je m’appliquai donc à traduire, même si ce monsieur n’en avait peut-être pas besoin, mais en même temps, ça m’aiderait moi-même à mieux ordonner mes pensées parfois chaotiques.

- Ok, merci pour ces renseignements, donc notre nouvel ami ici présent sait désormais que ces robots ont une bonne mobilité sauf à l’horizontale, on connait leur vitesse de déplacement, ouais s’il faut fuir, ça peut servir. Qu’ils ont une bonne capacité d’analyse, une grosse capacité de tir et d’armement, etc….qu’ils ont une vision je suppose plutôt au point ou pas suivant les models, capables de détecter un « intrus » dans leur zone de surveillance dans un périmètre de 750 m.. Mais pas de système de détection autre que leur vision. Cool ! c’est sans doute la bonne nouvelle non ?

Je regardai monsieur corbeau, après ce résumé qui était un peu plus clair en effet que toutes ces données ultra-techniques de notre experte en cyber. Ça, c’était désormais confirmé. Et moi j’avais aussi enregistré le tout. Alors à la question de Satisfaction, je répondis avec un sourire :

- Ca manque un peu de limpidité mais ….ça devrait aller. Alors mes cerf-volants, je dois en déduire qu’ils ne t’intéressent pas ?

Histoire de tromper leurs systèmes de surveillance non ?

- Et sinon je peux vous accompagner jusque là-bas avec le pickup de Jud, Judéo mon pote. Et toi l’ami, c’est quoi ton nom au fait ?

Ouais je n’allais pas tout le temps l’appeler monsieur corbeau ou blondinet non ? Surtout si on était amenés à traiter régulièrement ensemble….enfin s’il revenait en vie de sa virée à SF avec notre miss experte des Cyber. Pessimiste moi ? nnnoooon !

Qu’est-ce qu’il n’avait pas dit là ! « Sors-nous tout ce que tu sais de l’endroit… et d’où tu le sais ? »

De parents ? Est-ce qu’il avait eu des parents ? Sans doute, on ne naît pas du néant spontanément, mais quels parents… ça, il aurait bien été en peine de le dire… Il bredouilla vaguement « Des parents ? J'en sais rien...»

En tout cas, il voulait des infos, il en avait reçu, une rafale, pire qu’un tir automatique de ces trucs qu’elle décrivait en citant leur numéro de série… Qu’est-ce que c’était que cette fille ? En tout cas, la rousse avait l’air d’avoir compris comme lui, ils se repéraient à la vue, et voyaient à 750m de distance… Mauvais ça.

« Tes cerfs-volants, tu saurais leur coller un système de guidage ? ou un truc qui leur permette de se balader autrement qu’en suivant le vent ? S’ils sont occupés à regarder en l’air on a plus de chance de passer non ? »

A la blonde il demanda « leur vision elle est de quel type ? Ils intègrent la notion de reflet ? Ils sauraient qu’un miroir leur renvoie leur gueule ? Enfin un miroir… Et tu as une idée de leur nombre ? Ils patrouillent en solitaire ou en escouade ?»

Il sortit du sac un sorte de rouleau de tissu extrêmement fin, ou … comment appeler ça ? Déroulé, ça donnait une surface plane de la taille d’une petite couverture, environ 150x250 cm, qui renvoyait grossièrement la lumière et les formes, on ne pouvait pas se curer des dents en lui faisant face, les dents, c’était juste une zone claire au milieu du visage, mais est-ce que ça serait intéressant d’y recourir ?

« J’aurais clairement préféré qu’ils repèrent la chaleur ou les pulsations d’un cœur… »

Il n’expliqua rien, et à la question de la rouquine répondit laconiquement « Valravn Wraith, Val si tu veux »

Il restait pensif puis asséna abruptement « Oh et un véhicule ça peut faire gagner du temps oui, mais c'est plus répérable non ? ». Il se tourna vers la blonde.

C'était quand même vachement léger comme infos. Les prouesses techniques des machins, il s'en tapait carrément... Mais savoir s'il y en avait douze ou un par km carré c'était capital. Des toiles comme il venait de sortir, il en avait quatre, il les gardait, à plusieurs reprises elles lui avaient été utiles...

Remarque, à sa première plongée en sous-sol, dans son entrepôt de la mort, il en savait encore moins...

- « Je vous l'ai dit, ma maman m'a appris beaucoup de choses. Mais elles ne me reviennent que lorsque quelque chose me connecte à son savoir. Et vous savez ? L'idée de cette expédition, c'est un peu cela : avancer assez pour raviver ma mémoire. Et puis, même si TZ vaut pour "toute zone", et 53 pour le nombre de prototypes avant la production, le TZ 53 est un modèle de base. Assez décevant et inefficace en souterrains, il est surtout utilisé en extérieur. Dans les tunnels et souterrains - oui parce qu'on va aller sous terre, ça je me souviens - il y aura sûrement autre chose. Donc on apprendra en avançant. Le tout, c'est de ne pas tomber sur un modèle V. Tiens, j'ai des informations qui me remontent, même si limitées. V pour vigilant, le numéro indiquant, lui, le nombre de cibles qu'il peut traiter en même temps. Pour les numéros de série, c'est comme pour les TZ53 en fait. De mémoire, ils en étaient au V4 mais avaient des difficultés. Ce n'était pas une question de logiciel, mais de servomoteurs. Les japonais en font de très mauvais et pas assez rapides. Avec un V3 déjà, vu qu'on sera trois : vous, moi et le corbeau, aucune chance. »

Une idée me passe alors en tête. Je me tourne vers mon amie.

- « Tu es vraiment sûre que tu ne veux pas descendre par la porte avec nous, Mattie ? A quatre, au moins un d'entre nous aurait une chance. »

Devant sa moue, je comprends que j'ai oublié de parler des cerf-volants.

- « Sinon, les cerf-volants, ou même ces miroirs, cela me semble des leurres intéressants. On verra à l'usage, mais puisqu'on ne sait rien, autant prendre tout ce qui nous passe par la tête. Je trouve tout cela intellectuellement très excitant, pas vous ?»