Projet Epsilon

Avant (poursuite)
Avant (Gare Winnemucca)

La soirée et le lendemain du retour des Raiders furent animés. Chacun mesurait l'ampleur des derniers événements, dont le principal, la nouvelle annonçant la Horde dans la région d'Elko, nouvelle qui avait décidé le Conducteur à poursuivre vers l'est, là où jamais le Train ne s'était aventuré.

Peu de monde pouvait le savoir, mais la côté Est depuis Winnemuca, c'était 5000 pieds de descente sur une voie non reconnue. La voie ferrée avait ceci de bien, c'est qu'elle avait une résistance hors du commun et même après des lustres, elle était globalement capable de continuer d'être sûre, sauf emportée par le moindre accident de terrain. Les mécanos eux savaient : ils étaient inquiets et leur seule préoccupation était de savoir si les machines et les freins encaisseraient la descente sur ces voies brinquebalantes. Une seule erreur de vitesse et c'était la sortie des rails, avec sans doute la fin dans un des nombreux canyons qu'ils longeaient.

Côté Raider, la préoccupation était autre : il fallait panser les blessures, autant au corps qu'à l'âme, fêter les morts, dont la fin avait l'amertume de l'inutilité apparente. Même si le Train ne pouvait ignorer et savoir que personne ne serait laissé à l'abandon, le fait de ne ramener qu'un mort était un poids que seuls les Raiders se devaient de porter. Et surtout leur chef. La voiture bar des Raiders ne désemplit pas : à part quand ils faisaient de la mécanique pour retaper leurs véhicules, ils y finissaient et mieux valait ne pas être dans le coin quand ils sombraient dans l'ivresse rageuse à cause de ce qu'ils vivaient comme un échec. Seul Sam était alors le bienvenu. Depuis cette sortie, les Raiders avaient même la sale tendance à le prendre pour un d'entre eux.

Les passagers, eux, respiraient inconscients de l'état physique et moral du train. Seule une parmi eux, Mille, ne parvenait pas à s'empêcher de penser aux propos de celui qui, désormais, devrait être le Mécano en chef. Mais qui était toujours inconscient. Une sorte de sixième sens ne cessait de lui hurler, jusqu'en pleine nuit, qu'il fallait être inquiet. Quelque chose allait mal tourner, mais quoi ? Bon sang, mais quoi ?

Et elle sentait, oh oui, elle sentait, que leur vie allait se jouer sur sa compréhension de ce que le mécano Coni avait dit avant de sombrer.

Bon sang, la vibration...

La vibration...

Elle empirait...

Longtemps il a été prudent après avoir échappé, encore jeune homme, à l'emprise des templiers. Longtemps il a même été couard, se cachant, vivant une petite vie rangée émaillée de petits plaisirs. De là est né le Raccoon bar. Et puis sa vie a à nouveau été chamboulée. Il a rencontré Mathilde, Jean-Pax, Mille visage et La Vouivre. Et Audrey. Il a beaucoup perdu, son bar, son ami Savarin, Cash et même sa dignité au fond des geôles templières. Depuis Samsam ne s'en fait plus. Ça a été comme un déclic, une libération. La mort n’est pas grand chose, il y a bien pire.

Alors ce soir chez les Raiders, il s'amuse et amuse les autres. Parce qu'il faut savoir en profiter avant de passer l'arme à gauche. Il a frôlé la mort sans doute aujourd'hui, et il chante, il danse, et avec son don, il peut faire toutes les voix, un orchestre à lui tout seul. Il ne sait pas ce que pensent ces gens des mutants, mais ce soir il s'en fiche bien. Il chante de tout son potentiel de mutant.

Je sens l’agitation de Mille qui semble ne pas avoir trouvé le sommeil cette nuit, je l’interroge pour en revenir encore à cette histoire d’essieu, ce problème que le mécano du train lui a confié, mais qu’ensuite personne n’a voulu écouter.

- Il y a un problème, il y a vraiment un problème, j'ignore pourquoi je le sais, mais je le sais, et personne ne veut m'écouter dans ce foutu train, murmure-t-elle d’un ton contrarié.

Je l’observe, souris légèrement, avant de suggérer d’une voix tranquille.

- Dans ce cas, si personne ne veut t’écouter, peut-être qu’on l’écoutera lui ?
Mon regard si noir, accroche le sien si clair et je vois l'éclair de compréhension.

- Tu as raison.

Notre conversation s’arrête là. Mille se lève et quitte notre wagon, pour remonter jusqu’à celui où la veille, elle a parlé à ce fameux Luis. Mais quand elle se présente à lui, Mille use de sa mutation qui en fait un de mes atouts indispensables, une mutation qu’elle aurait dû penser à utiliser dès le départ. Ca lui aurait éviter de gaspiller autant de temps.

Luis est tiré de son sommeil, elle le secoue sans ménagement. Et quand il ouvre les yeux, c’est pour voir le visage de Coni, leur mécano. [1réussite sur 4]

- Bouge-toi l’cul ! Il faut diminuer le poids de l’essieu sur la roue droite de l’E31-2 ! Vous avez déjà trop attendus !! Diminuer le poids tu entends !!! ALLEZ !! Si on n’fait rien, on court à la catastrophe !

Coni le lâche sans douceur, puis lui tourne le dos pour quitter le wagon et disparaître dans les couloirs du train. Mille ne s’éloigne pas de trop, hors de la vue du gars, elle attend dans une des cabines, espérant une réaction, enfin.

Le gars émerge. Il est la gueule dans le cul comme on dit, mais Coni est un mécano sérieux et s'il te réveille, c'est qu'il y a une bonne raison.

Sans même prendre le temps de s'habiller, si ce n'est se jeter dans sa paire de chaussure, le gars traverse les voitures en t-shirt et caleçon (sale), poussant tout le monde sur son passage.

Il semble certain que Coni est devant lui et il fait tout pour le rattraper. Mille le suit, et c'est sans doute fort heureux.

Car pour aller de la voiture 12 à la 31, il faut passer par la voiture 21... Le Bar des Raiders. Quand le mécano essaie de traverser, ces derniers sont déjà très sérieusement entamés, avec me^me un mec qui danse complétement saoul sur une musique de EWF.

L'apparition d'un gars en caleçon déchaîne quelques réactions étonnées et coupe même le spectacle du danseur. Deux Raiders tentent de s'interposer, sans doute comme cela, par jeu. Sauf que le Mekz, lui, a le sens de la mission. Il les pousse sans ménagement, ce qui est immédiatement suivi d'un cri de révolte des Raiders !

Mille comprend que jamais le gars ne franchira cette voiture vu l'état dans lequel les Raiders non seulement étaient, mais sont devenus après qu'il ait porté la main sur deux d'entre eux.

La voiture 31 est encore à 3 voitures de là. Et Mille continue de ressentir une profonde inquiétude, tandis qu'elle ressent comme une accélération du train. D'évidence, oui, ce dernier va plus vite qu'avant.

Vraiment plus vite.

Un sourire satisfait étire mes lèvres. Mille a réussi son coup. Sauf que sa nouvelle tentative de convaincre un des mécanos de réagir enfin, se solde encore une fois par un échec. Mon sourire retombe face au récit de Nils. Je soupire agacé.

- Nous aurions mieux fait de faire ce qui était prévu dès le départ, nous ne serions pas aussi ennuyés avec tous ces problèmes mécaniques.
- Monsieur, le train, il a encore accéléré. Je crois que mademoiselle Mille avait raison, il y a vraiment un problème.
- Quelle bande d’incapables !!! je jure tout bas, vraiment contrarié à présent, avant de fixer le jeune Nils.
- Que fait-elle à présent ?.....

Mille s’est arrêtée à la porte communicante entre les wagons, en constatant que Luis n’a du coup pas été plus loin, arrêté dans un élan pourtant prometteur par ces ivrognes de Raiders.

- Putain c’est pas vrai !!!

Et soudain elle le voit, Sam, en train de faire son show debout sur le bar. Elle pousse la porte et fonce vers lui, indifférente aux rires et aux sifflets des autres crétins.

- Sam, je vais avoir besoin de ton aide, tout de suite.

Oui bon plus le temps de faire dans la discrétion. Le temps presse.

- Il faut qu’ils ralentissent ce train, il y a un gros problème mécanique avec lui, c’est le mécano en chef qui me l’a dit, mais ici ils sont tous trop bouchés pour m’écouter.

Preuve en est, la nouvelle accélération du train.

Franchement il n'a pas bu tant que ça ! Quelques verres que lui ont donné les Raiders pour le soutenir dans sa prestation hors norme, c'est tout. Mais voilà qu'il se tape des hallucinations, ah ! il est fort l'alcool local, un truc à vous rendre aveugle ou zinzin. Samuel glousse quand Mille Visages l'interpelle. "Olà Mille !" C'est drôle quand même d'avoir des hallus d'une nana qui peut changer de tête à volonté ! A volonté ! *Plop*

Le sourire disparait quand Sam réalise - après une ou deux minutes de bug - qu'elle était surement dans le train depuis le départ, cachée sous un quelconque déguisement. Est-ce qu'elle le suit ? A cause de sa mission ? C'est débile, lui même n'est même pas sur d'avoir une mission ou en tout cas de la réaliser. Après tout personne ne le surveille. Ou...Elle ? Avec Tara Malone ? C'est du délire ! Puis la seconde phrase monte au cerveau après cette phase de stupéfaction où il regarde la jeune femme avec un air de crétin décérébré. *Plop*

Quoi ? Un problème mécanique? Et c'est vrai que le train avait l'air d'aller plus vite. Mais ils étaient peut-être en descente non ? C'était sans doute normal. Sans doute ? Samuel siffle entre ses lèvres, assez fort pour se faire entendre du chef de l'expédition "sauvez le Bossman" qu'il interpelle en sautant à bas du bar sous les cris et les protestations des Raiders. "Max ! ça accélère non ? Y a un problème ! Dixit le mécano qu'était dans les vapes...Faut prévenir qui là ? Y a plus de Bossman..." Non non, sa voix n'est pas du tout stridente ! Aheum...

"Mais y'a Coni ! Il m'a réveillé pour qu'on aille régler le problème. Bande d'abrutis bourrés, laissez moi passer !"

Le gars gueula ce qu'il pouvait, puisqu'un Raider était en train de le tenir par la gorge et un autre, visiblement, allait lui en mettre plein la gueule.

Quant au chef des Raiders, sans doute dans la douleur d'avoir perdu des hommes, cela faisait déjà longtemps qu'il avait dépassé la dose limite. Il s'était avachi, inconscient, sans doute dans sa douleur, et était incapable de réagir à ce qui se tramait.

Le train n'accélérait plus. Mais même à la 21, à condition de ne pas attribuer cela au fait d'être saoul, on pouvait sentir les voitures commencer à osciller...

Nils me rapporte ce qui se passe à quelques wagons de là, la tentative de Mille et l’agitation désormais provoquée parmi les raiders. Je souris, mais un sourire grinçant.

- Je crois qu’il va falloir que j’intervienne, encore ! Dis-je d’un ton trahissant légèrement mon agacement.

Je salue Terence dont je sens l’hésitation, mais au final il préfère attendre dans notre wagon. Nils restera avec lui.
…..

Mille quant à elle, est à la fois soulagée de voir que Sam la reconnait, dans une intervention qui ne laisse que peu de place aux explications, et en même temps dépitée de constater qu’il est ivre, complètement. Enfin pas assez pour l’empêcher de réagir et de tenter de l’aider à ramener ces abrutis à la raison. Le seul qui était décidé à l’aider, A LES aider tous, est désormais pris à parti par les raiders.

Mille perd patience, même de là où je suis, je le sens. Trop d’indifférence, trop de nonchalance tandis que le train va un peu vite et nous remue quelque peu dans les virages. Et je connais Mille, je sais qu’elle n’est pas du genre à s’inquiéter pour rien.
….

Mille secoue la tête.

- Laissez le passer !! crie-t-elle d’un ton ferme. Elle désigne Luis à Sam et reprend d’un ton énervé, mais plus bas : Il a compris qu’il y a un problème avec un des wagons. ET si ces types ne se secouent pas rapidement, s’ils ne le laissent pas passer, je crains que ça se finisse très mal pour nous tous ! Pour Tout ce foutu train !!! le ton est monté.
….

C’est à ce moment que je pénètre dans le wagon, le regard noir, l’expression agacée.

- Décidément, les discours sont vraiment inutiles avec vous.

Je ne bouge pas, rien dans ma gestuelle ne traduit cette soudaine montée du rythme cardiaque. Celui qui apporte la peur, l’affolement, dépassant l’ivresse qui endort leurs cervelles, donnant le  petit coup de fouet d’adrénaline nécessaire.
[1réussite sur 5]

Bien que bourrés, les Raiders se mettent à hésiter. Aidé par Sam et Mille, le Mekz se dégage et file vers la voiture concernée.

Il ne faut pas bien longtemps une fois sur place pour comprendre que le problème vient de cette voiture. Elle tangue dangereusement et ne semble pas vouloir s'arrêter. Par les fenêtres, on peut voir se dessiner un canyon et un immense pont qui l'enjambe avec un virage bien sec.

Si la voiture continue ainsi, elle ne pourra que verser par la force centrifuge, condamnant au moins la fin du train, sans pour autant pouvoir jurer que l'avant ne serait pas concerné, pour peu que l'attache de la voiture ne cède pas.

Le Mekz tombe au sol, la tête entre les mains.

"On est foutus, on est foutus !"

Mille et Sam le jetteraient bien par-dessus bord. C'est alors qu'un bruit qu'ils avaient capté depuis leur entrée dans la voiture finit par atteindre les cercles de la compréhension.
Devant eux, ils distinguent une énorme cuve en métal. Ils peuvent entendre l'eau, au 2/3 du volume, qui ne cesse d'aller de droite à gauche, renforçant l'effet d'oscillation du boggie à la roue désaxée.

Si action: