Projet Epsilon

Le petit véhicule remontait à tout allure vers le camp nomade. Sans doute était-ce l'allure qu'il avait adopté sur son itinéraire pour échapper à quelque fâcheuse rencontre. C'est que si la périphérie de SF était "safe" comme on disait, ce n'était pas le cas alentours.

D'ailleurs, tout en observant le véhicule, Grimchy se dit que, durant les quelques mois passés autour du Comptoir, il avait entendu parler qu'il existait sur les flancs des collines, là, à l'Est, une créature monstrueuse, une ourse vraiment, vraiment gigantesque et mauvaise. Bah, des racontars de couilles-molles tout ça. Ou le début d'une histoire drôle. Il essaie de se la rappeler et c'est alors que le véhicule vire presque en dérapage vers leur tente que l'histoire lui revient en tête.

Des Nomades firent des gestes du bras : l'allure était trop vive pour un campement. Grimchy grimaça : ils n'avaient pas besoin de se faire remarquer. Merde ! En même temps, qu'est-ce qui poussait Arthus à être si pressé ? Un blessé ? Ça avait mal tourné ?

Finalement Arthus pile devant lui, sortit sa trogne de débile par la fenêtre, levant enfin ses lunettes de conduite. Il a le visage plein de poussière, plus que le nombre de dents que son sourire dévoile. Enfin, sourire... Bernyze sort de l'autre côté en râlant, pestant contre la façon de conduire du jeunot.

Merde, Arthus, t'es vraiment, vraiment, con ou quoi ? On va avoir les Technomades qui vont débouler pour nous faire la leçon avec tes conneries ! Putain, tu fais chier ! Tu peux pas rouler plus lentement ?? Elle où l'urgence là ?

Arthus hausse deux fois les épaules et sourit encore plus. C'est vrai qu'il ne parle pas : c'est toujours difficile quand on s'est pris une bastos dans la gorge, mais qu'on y survit. Sans cordes vocales et sans langue. Grimchy se demande parfois par quel coup du sort il s'était tiré d'une telle blessure, et comment il le vivait. En revanche, il est persuadé qu'une partie du cerveau est parti avec la balla. Arthus est vraiment, vraiment, débile.

Bernyze claudique jusqu'à lui, et après quelques regards à droite et à gauche, lui remet dans la main un petit bout de papier.
C'est tombé pendant l'écoute. Le mot code, un mot et l'accusé de récep'. J'suis sûr que c'est ce qu'on attendait, lui dit-il avec son accent italien.

Grimchy plisse les yeux.Un seul mot ? C'était jamais arrivé avant. Il voit du coin de l’œil deux Technomades, ceux un peu en charge de l'ordre - c'est-à-dire du respect du code des Nomades - qui se dirigent vers eux.
Putain, va falloir encore rattraper une connerie du débile... Je te laisse gérer ?

Lui part dans la tente, et après une ultime vérification, sort le cahier de codes à la date du jour. Il déroule le petit morceau de papier et prend le temps de décoder le mot.

Satisfaction.

Merde... Il recommence une seconde fois, tandis qu'il entend l'italien calmer les envoyés du Comptoir avec sa tchache qui vous donne l'impression que vous êtes pote avec lui depuis dix ans.

Satisfaction.

Merde...
Il prend du tabac dans sa poche, le fourre dans le petit rouleau, parce que rien ne se perd, non sans le retourner pour que l'écriture soit à l'intérieur. Puis il allume sa clope de fortune.

Son regard glisse vers le fond de la tente, sur une caisse de métal argentée, solide et lourde.

C'est parti. On va enfin savoir.

Une taff.

Merde.

Ils sont deux dans la tente. Arthus surveille l'extérieur ; pas malin, mais efficace sans doute.

Tandis que Bernyze finit de débarrasser tout ce qu'ils avaient entassé sur la "boîte" autant par besoin que pour la dissimuler, Glimchy retourne dans ses mains un parallélépipède gris. Pour ce qu'il en sait, une clé informatique. On lui avait remis avec le premier paiement et il devait attendre le mot code avant de l'utiliser. Cela faisait 7 mois qu'il patientait et qu'ils étaient payés régulièrement. Maintenant, et bien, on y était.

Il se frotte le menton mal rasé et observe "la boîte". Un autre parallélépipède, peut-être 2m de long sur 70 cm de large et presque un mètre de hauteur, apparemment avec un couvercle, scellé, sans qu'aucune vis ne se voit. Ça pesait un tel poids qu'il y avait 4 petites roues mues par un moteur électrique. Ils ne l'avaient pas rechargé de puis leur arrivée, alors c'était même pas la peine d'espérer déplacer le truc sans le tracter avec le Buggies.

Le truc faisait toujours un bruit continu, léger : si léger qu'il fallait en être vraiment proche pour en prendre conscience.

Il soupire. Bernyze le regarde. Pour une fois, il en perd son latin le bougre.

Glimchy s'avance, s'accroupit, puis après une ultime hésitation, il introduit la clé dans une petit évidemment sur le côté.

D'abord rien ne se passe.

Ils se regardent avec Bernyze.

Il essaie d'enlever la clé, pour la remettre, mais il n'y parvient pas et fronce les sourcils.

C'est alors que des bruits secs émanent de toute la boîte.

Oh putain ! lâche-t-il tout en s'éloignant rapidement.

Ca fait des clics, des clangs. Des choses bougent là-dedans.

Oh putain ! répète-t-il, comme un mantra.

Et puis soudain, le bruit d'une dizaine de petites explosions. 10 vis viennent de perforer le couvercle, chassés violemment. A peine le temps d'un échange de regard avec Bernyze et les deux se jettent au sol. Une nouvelle explosion, plus forte cette fois. Le couvercle est éjecté à quelques mètres et retombe avec un bruit mat, lourd.

Oh putain !

Dans cette nouvelle vie de « Technomade », s’il y avait bien une chose que j’avais apprise, c’est qu’au-delà du pétrole et des batteries, il y avait un troisième élément essentiel pour survivre dans cette jungle, oui enfin jungle, le terme n’était pas des plus appropriés mais on s’comprenait moi et mes idées. Donc troisième élément essentiel pour survivre ici, c’était Tadam, pouvoir boire du café le matin. Et la machine à mon grand dam, était encore tombée en panne.

Bien sûr, y’avait beaucoup trop de trucs consommant du courant sur la zone, et même les dérives du tableau central ou encore les précieux panneaux solaires installés sur les toits, ne fournissaient pas assez de courant pour tous, ou alors c’était juste la machine qui avait définitivement rendu l’âme ?

Dans l’un comme dans l’autre, je n’aurai pas de café ce matin ! Ca signifiait aussi que j’allais devoir mettre l’opération réparation de la machine en priorité avant tout le reste. Tant pis pour les autres commandes.

Je me mis donc au travail, casque de musique sur les oreilles, penchée sur la machine que je commençais à désosser pour mieux trouver l’origine du problème, opération chirurgicale sans anesthésie ! Je m’emparai d’une pince, puis d’une autre, assise sur une chaise un peu bancale devant ma table à l’extérieur, installée sur des tréteaux pour permettre d’y entreposer les autres appareils et caisses de récup en tout genre que je glissai chaque jour dessous les tables, des caisses plus ou moins triées qui contenaient tout ce que j’avais pu récupérer, échanger au fil des mois, des trucs parfois complètement hétéroclites comme des bouchons de stylo à tête de pirate ou des flamand roses qu’on piquait autrefois dans son jardin.

On n’savait jamais, tout pouvait être récupéré, transformer et me servir un jour ou l’autre. C’est pour ça que peu à peu notre antre à moi et à Judéo s’était transformé en drôle de bric à brac, hérissé de trucs décos de cette autre époque que nous ne connaîtrions jamais, comme girouettes et éoliennes colorées qui flottaient juste au dessus du toit, ou accrochés ici et là par mes soins.

De fait, notre Techno-truck était repérable de loin, au-delà du fait des constructions ajoutées par Judéo pour agrandir notre nouveau refuge. J’avais ainsi découvert que Judéo n’était pas juste doué pour impressionner les autres, il savait se servir autrement de ses mains qu’en écrasant des pifs.

Et c’est là qu’un son bien plus fort que le rythme de ma chanson de Madonna se fit entendre. Je figeai mon geste un instant, cessant de fredonner, pour tendre l’oreille…et le phénomène se reproduisit.

Cette fois je fis tomber mon casque, stoppant la chanson pour abandonner mon fourbi, et quitter l’ombre des toiles tendues au-dessus des tables et de nos affaires, pour suivre le mouvement des autres, tous alertés par le bruit.

Ca venait de cette tente dont les occupants s’étaient fait plutôt discret… jusqu’à cet instant. Bon comme j’étais petite, je dus jouer des coudes pour voir ce qui se passait de l’autre côté de cette foule de curieux encerclant les responsables de ce ramdam.

Nom di diou ! jure Bernyze.

Évidemment, tant de bordel a attiré l'attention. Exactement ce que Grimchy ne veut pas à ce moment précis.

Il bondit hors de la tente, sans même prendre le temps de s'intéresser au contenu de la "boîte".

Hé ! Cool les gars ! Un p'tit truc trouvé à SF qu'a déconné à l'ouverture. Une sécurité j'crois. Personne n'est blessé chez nous ! Et vous, c'est cool ? Tout va bien ? P'tain, j'crois que la prochaine fois, on f'ra gaffe à trifouiller ces trucs avant de rentrer ici.

Avec le retour rapide et remarqué en Buggies d'Arthus, ça peut coller comme explication. Pour une fois qu'une connerie du muet pouvait aider le groupe !

Grimchy fait son plus grand sourire en mode "marchand". Ou "j'te vends des loukoums". "J'vais vite le savoir..." se dit-il.

Évidemment, il ne voit pas que, dans son dos, ça bouge.

J'ouvre les yeux. Au-dessus de moi un horizon couleur sable et sale. La nouvelle couleur du ciel ? Je sens bien une différence entre ce que je vois et ce que je comprends. Je respire pour me laisser le temps de m'ajuster.

C'est alors qu'un visage inconnu se penche sur mon ciel sable et sale.

Nom di diou ! jure l'individu. Il tend ses mains vers moi.

Le réflexe est instantané. Je lui attrape une main avec ma main gauche, le tire violemment vers moi pour le déséquilibrer, et avec ma main droite je frappe violemment son avant-bras, entendant le craquement des os avant son hurlement sauvage.

Les autres s’étaient rassemblés en demi-cercle autour de cette tente, et devant son entrée. Alors quand l’autre gus en sortit en mode « tout va bien », les murmures et les commentaires qui avaient déjà commencé, grimpèrent d’un ton.

- C’est quoi ? Des armes ? des explosifs ?
- Putain, il va nous foutre le feu à tout l’camp.
- Quoi ? Tout ça pour une sécurité ?

Les murmures reprirent de plus bel, tandis que moi, j’essayai de voir ce qui se passait derrière le gus en me penchant et en tendant mon cou, parce que vu son attitude, y’avait quelque chose qui avait déconné avec leur « petit truc ».  
Aussi quand le cri retentit, terrible, un cri atroce, tout le monde eut le même reflexe et recula. Les commentaires reprirent aussitôt, cette fois plus effrayés.

- Qu’est-ce qui s’passe là-dedans ???

J’étais très curieuse de savoir moi aussi, mais ce cri qu’on venait d’entendre ne me poussait pas à m’avancer plus pour en avoir le cœur net. Je restai donc plus ou moins planquée entre deux gars qui ne prêtaient pas la moindre à attention à moi, tous les regards concentrés vers le type et ce qui se passait derrière lui.

Je me sens ankylosée, mais j'ignore pourquoi.

Puis je m'asseois.

Qu'est-ce que ?... Qu'est-ce que je fous dans une... boîte ? ...Un... cercueil ?

La colère m'envahit. Je sors, et je ratisse sous les pieds de l'inconnu, le faisant chuter, puis je lui assène deux coups de pieds, un dans les couilles, pour qu'elles remontent vers le haut, l'autre dans la gueule, parce que je n'aime pas quand les couilles ne sont pas à leur place.

Totalement aveugle à mon environnement pour l'instant, je le chope par les vêtements et l'élève à ma hanche.

- « Espèce de chien. Qu'est-ce que tu croyais me faire ? QU'EST-CE QUE TU CROYAIS ME FAIRE ???? ».

Je le jette hors de là où je suis, l'accompagnant avec toute ma colère.

Et c'est là que je remarque l'assemblée. Tous les regards sont tournés vers moi.

Moi, nue face à eux.

Bernyze n'est plus en état. Il est déjà dans l'inconscience. La double fracture de son avant-bras déforme ce dernier et lui fait faire comme une vague.

Grimchy comprend que la situation va lui échapper. Tandis que... enfin la femme nue, dont il ignore tout, semble hésiter devant la foule, il fonce dans la tente.

Et merde pour leur règle 1 à la con !

Sous le canapé fatigué qu'ils avaient récupéré à Modesto, il chope son Rock River Arms LAR-15, un dérivé court de l'AR-15. A l'extérieur, on entend l'armement, et quand il ressort, il est beaucoup moins consensuel.

Bon, les blaireaux, j'fais simple. J'ai rien contre vous. Mais y'a des choses, c'est mes affaires. Quant à toi, la greluche, tu te fous à genoux très vite ! Arthus, charges Bernyze et démarres le buggies !

Oh ben c’était la journée du grand spectacle aujourd’hui ! Et ma mâchoire se décrochât presque en voyant la nana sortir complètement à poil de la tente. Bien qu’à ce jeu là, j’étais la grande perdante au vu des têtes que firent les gars autour de moi. Je levais les yeux au ciel car pas un d’entre eux ne songeât à faire un geste, bien trop occupés à détailler la fille de la tête aux pieds. Ouais enfin la tête les intéressait bien moins que le reste.

Je me défis de cette foule de curieux, revenant un bref instant sur mes pas, pour aviser une couverture laissée sur une chaise devant une autre de ces tentes. Le propriétaire ne m’en voudrait pas de la lui avoir empruntée un instant, histoire de sauvegarder la pudeur de la demoiselle, solidarité féminine avant tout n’est-ce pas ? A moins qu’il ne fasse partie de ceux profitant du spectacle peut-être.

Mais quand je revins à l’intérieur du cercle qui s’était quand même tout à coup sacrément décomposé, au vu du fusil que l’autre tenait, je compris pourquoi en le voyant à mon tour. Je restai alors bêtement avec ma couverture dans les mains, et un regard navré pour la demoiselle.

Je la lui aurai bien donnée mais, mère prudence était devenue plus précieuse que ma générosité depuis longtemps. Et l’autre, il avait carrément un fusil d’assaut, merde ! Ouuuh ça c’était pas bien, pas bien du tout, et le code alors ?

Mouais, le code il avait l’air de n’en avoir rien à foutre…..alors, moi je me tins à carreau, autant à carreau que ma chemise en flanelle en avait, hésitant même à faire demi-tour, ma couverture devenue inutile dans ma main. Oui parce que s’il pétait un câble ce type, c’est pas elle qui me protègerait. Elémentaire mon cher Watson !

Ce fut un autre gars qui parla, main en avant en mode « tout doux l’enragé ».

- Ok, ok, on va vous laisser à vos petites affaires. Pas besoin d’s’énerver mon gars ! hein ? T’as pas besoin de ça. Allez vous autres, dégagez !

Et l’un après l’autre, les curieux venus assister à l’animation gratuite du jour, s’écartèrent prudemment, me laissant parmi les derniers sur place. Moi et ma couverture ridicule et mon regard navré pour la fille.

Grimchy n'avait d'yeux que vers la fille. Il entendit les exclamations du muet et se dit qu'il devait avoir fini de trainer Bernyze dans le buggie.

Je sais pas qui t'es, ni si tu me comprends, mais putain, à genou ou je te jure que je te dire dedans pour te mettre au sol !

Le muet continuait de faire du bruit, et c'est là que Grimchy s'interrogea sur le fait qu'il n'entendait pas le moteur. Il voulut tourner la tête rapidement pour voir, mais trop tard.

Oui, les gars avaient calmé le jeu, mais il y a des choses qui n'amusent aucun nomade. A force de vivre discrétement, de ne pas en être vraiment, Grimchy avait commis l'erreur de ne pas apprendre à être ce qu'il prétendait être. Et à savoir ce qui vraiment, vraiment, ne se faisait pas dans un camp Nomade, parce que cela liguait contre la personne tous les Nomades, qu'ils se connaissent ou pas.

Il se prit un coup de planche juste au pli du genou et un coup de batte de baseball dans le visage, ce qui envoya valser l'arme. Le muet ne disait plus rien : il venait de se faire intimer l'ordre clair de se mettre au volant. Pour être bien sûr, les deux gros bras qui avaient calmé le jeu pour mieux faire le tour de Grimchy, lui assénèrent deux coups de pieds dans la tête.
Puis, ils le prirent sous les bras et le tirèrent jusqu'au véhicule où ils le jetèrent sans autre forme de procès.

-"Vous vous cassez et on revoit plus jamais vos gueules."

Arthus hocha la tête et ne se le fit pas dire deux fois.

Les deux nomades, qui ne se connaissaient pas plus que ça, autre que d'être voisins au campement, se firent un signe de tête de satisfaction. Celui qui avait pris l'initiative de la résolution expéditive au manquement à la règle n°1 revint vers la tente, non sans reluquer la fille qui n'avait pas bougé. C'était pas une gosse : s'occuper d'elle n'était donc pas son affaire. Mais en paiement, il se dit qu'il ramasserait bien l'arme... Le deuxième, lui, se dirigeait vers la tente : lui aussi comptait sans doute se payer en récupérant des trucs utiles. Il n'y avait pas vol, puisqu'il n'y avait plus de propriétaires. C'était juste du bon sens. D'ailleurs un petit groupe, qui n'était pas intervenu, se mit à attendre : ils espéraient sûrement être les suivants pour récupérer du matos.

En attendant, ils admiraient le corps parfait de la jeune femme. L'absence de pilosité ne dissimulait rien du tout et elle continuait d'être dans la position qu'elle avait adopté face au taré avec une arme : les bras tendus droits le long du corps, les poings serrés, et les jambes légèrement écartées.

repartirent chacun dans leur coin.

- « Ttt tsss les gars. Ici c'est chez moi. Règle... 7 je crois ?».

Je me tourne alors et me penche pour ramasser l'arme. Des coups de sifflets fusent dans mon dos.

Je me redresse. Oh !

Je comprends.

Je regarde autour de moi s'il n'y a pas quelque chose pour calmer l'ardeur de ces mâles en manque.

Je crois que j’avais cessé de respirer, le temps que dura l’intervention des deux gros bras, le temps de voir le fusil tomber sur le sol, avant que ces crétins finis soient renvoyés dans leur véhicule manu-militari !  Jusqu’à ce que tout semblât plus ou moins rentrer dans l’ordre.

Enfin…. Il restait cette fille qui laissa entendre qu’elle était chez elle. Ah ? J’l’avais jamais vue auparavant. Ou alors, c’est parce que je ne savais pas la reconnaître sans ses vêtements, haha ! Bon à présent que je n’avais plus un énorme fusil sous les yeux, et que les autres cinglés avaient été chassés, j’osai finalement faire un pas en avant pour lui tendre la couverture.

- Tiens, ça sera mieux avec ça.

Les gars autour protestèrent et ayant repris un peu du poil de la bête, je donnai de la voix.

- Oh on se calme ! A croire que vous n'avez jamais vu une nana à poil de votre vie !

Je secouai la tête d’un air exaspéré, avant de regarder la fille :

- Tu dis que tu es chez toi ? …..Il ne me semble pas t’avoir jamais vue avant. C’est quoi  ton nom ?, demandais-je avec un sourire. Moi c’est Mattie bien qu’ici on m’connait plus sous le nom de McGyver.

Dans le fond, être nue n'a aucune importance. Juste une chair à l'élasticité évolutive, et jamais dans la bon sens.

Mais ne serait-ce que pour faire partir les témoins qui commencent à m'agacer, j'accepte la couverture.

- « Merci... Mattie... Ou Mc Gyver. Il faudra me dire lequel vous préférez. Pour répondre à votre question, venez voir...».

Je rentre de nouveau dans la tente et elle me suit. Je lui montre la "boîte" désormais ouverte.

- « Les trois autres ont été virés du camp, et moi j'étais là-dedans. Je suppose que cela me rend légitime comme nouvelle "propriétaire". encore que...».

Je soulève quelques tas de vêtements du bout du pied.

- « ... encore que il n'y a ici aucun vêtement pour moi. Vous sauriez où en trouver ? J'échange contre toutes leurs fringues ».
Je m'arrête soudainement de parler. Je réalise que je n'ai pas répondu à sa première question, ce qui n'est pas très poli. Sans doute étais-je pressée de démontrer ma légitimité à posséder ce coin du campement.

- « Je m'appelle... euh... Je...». . Et puis quelque chose me vient en tête. Je ne sais pas d'où. - « Satisfaction. Satisfaction est la façon dont on m'appelle ».

Maintenant qu'on a échangé nos identifiants, je lui tends la main pour la saluer

Je lui répondis par un sourire, avant d’hausser les épaules à sa question, notant au passage le vouvoiement. C’est vrai qu’ici, j’en avais fini par oublier quelques codes de savoir vivre. Tout le monde se tutoyait, qu’on se connaisse ou pas.

- Mattie ça sera très bien.

Oui Mcgyver, c’était surtout ceux qui cherchaient une personne pouvant les aider à trouver une pièce ou à réparer un truc. La répartie s’était diffusée à travers le camp, comme une traînée de poudre : « t’as qu’à demander à Mcgyver ».

Mais cette fille là, j’doutais qu’elle eusse besoin de mes services de réparatrice. Alors tant qu’à faire, je lui demandais son nom.
A ma question, elle répondit par une invitation à la suivre sous sa tente, ce que je fis d’un pas prudent et finalement restant proche de la sortie. Les autres désormais avaient renoncé à s’emparer de ce que les crétins avaient été contraint d’abandonner. C’était ainsi dans le campement nomade. Si quelqu’un était déclaré mort ou était éjecté du camp, les autres se partageaient ses affaires sans plus de façon. Ma foi, j’allais pas critiquer puisque c’était ainsi que j’avais récupéré le Monster-truck.

Mais tout de même la vue de la caisse me laissa bouche bée. Elle était vraiment sortie de là-dedans ? Oui la boîte était de taille humaine, et personne ne l’avait vue avant, ça paraissait plausible…….mais pourquoi faire voyager cette femme dans une caisse ? Les autres avaient dit qu’elle venait de SF. Je la regardai à nouveau, perplexe.

Puis je pensai brusquement à cette histoire étrange dont j’avais entendu parler plusieurs années auparavant, il y avait….une éternité pour moi, quand j’étais encore la petite esclave de Sarah…. Une histoire de créature intelligente entièrement cybernétique qui s’était levée tel terminator pour …..pour supprimer John Connor. …..ou peut-être que je mélangeai un peu.

Bzim, retour à Mademoiselle Connor qui voulait savoir où elle pouvait trouver des fringues à sa taille, quitte à échanger toutes les affaires des autres. J’inspirai un coup avant de remettre un sourire sur mon visage.

- Y’a une friperie dans le campement. Elle est tenue par Carmen. Vous devriez pouvoir marchander tout ça avec elle.

Et donc…. Mademoiselle Connor s’appelait Sarah, enfin non Satisfaction. Je lui lançai un regard plutôt perplexe.

- Ah ok, c’est pas un nom courant mais soit mademoiselle Satisfaction. Venez, je vais vous montrer la « boutique ».

- « Merci, j'apprécie votre double aide de la journée. Je vous suis donc doublement redevable ».

Je commence à la suivre, puis je m'arrête.

- « Peut-être pas une bonne idée de prendre ça avec moi... ».

Je jette l'arme sur le canapé, ramasse ce que je peux dans mes bras des fringues des autres, en prenant en priorité dans leur tas de linge de rechange - je ne vais pas dire propre.

On nous regarde au passage, sans doute pour comprendre ce que pouvait donc bien cacher cette altercation, mais si je me souviens bien, les Nomades ne seront pas plus curieux que ce regard. Encore que certains iront sûrement voir la demoiselle devant moi pour lui soutirer quelques infos. Après tout, même chez les Nomades, les infos, cela se troque et s'échange.

- «  Si seulement je pouvais savoir qui m'a mis dans cette boîte et pourquoi... Je... ».

Puis j'observe les alentours que les espaces entre les tentes me révèlent et enfin, au loin, je vois les longues flèches de bâtiments.


- «  Si ce n'est pas abusé... On est où ? Et surtout... Quand ? ».

J’affichai un sourire un peu gêné :

- Aah euh pas de quoi, faut bien qu’on se sert un peu les coudes entre filles non ?

Haha, bon ok, mon sourire était un rien crispé parce que depuis tout à l’heure, depuis que j’avais vu la boîte de Pandore, en l’occurrence rebaptisée en boîte de Satisfaction – hum voui, y’avait un rien de tendancieux au mélange de ces deux mots– je m’interrogeai sur cette femme, de où elle pouvait bien sortir, du pourquoi elle était là, et si je n’avais pas plutôt tout intérêt à faire comme tous les autres, repartir à mes affaires et faire comme si j’n’avais rien vu.

Oui mais ça aurait été trop facile, et pas très sympa pour elle…donc je l’accompagnai à la friperie, une tente entourée d’un tas de tables où Carmen disposait tous les vêtements qu’elle pouvait récupérer. Certainement que ceux-ci, même s’ils ne paraissaient pas de première fraîcheur l’intéresserait.

Et miss Satisfaction de se demander non sans avoir jeté le fusil avec une nonchalance inquiétante sur un vieux canapé, pourquoi on l’avait mise en boîte. Je ne pus m’empêcher de m’esclaffer.

- Vous savez y’en a plus d’un qui se sont fait mettre en boîte…..

Je songeai à l’expression bien sûr… mais euh peut-être n’allait-elle pas apprécier mon humour. Hem.

- Enfin je veux parler de l’expression. En tout cas si vous trouvez, ne manquez pas de m’en parler, je serai curieuse de savoir aussi. Les gars qui étaient avec vous, euh….enfin on va dire qui vous ont ramenée, ils n’avaient jamais fait parler d’eux jusqu’à aujourd’hui….et tout à coup vous êtes là.

Et comme si c’était déjà pas assez bizarre, elle me demanda où elle se trouvait et quand. Okay…..j’allais finir par y croire à mon histoire de terminator.

- Hm…. Vous êtes aux portes de San Francisco dans le camp nomade n.2, et nous sommes le .premier juin, 2221….

Je l’observai en biais tandis que nous arrivions au shop de Carmen.

- Vous ne vous souvenez pas de ce qui s’est passé alors ? ….du coup c’est quoi votre dernier souvenir avant aujourd’hui ?

Je me demandais brusquement : et si je coupais dans sa peau, qu’’est-ce que je trouverai en-dessous hm ? du muscle ou ….des circuits bioniques ? ….Mais c’était une de mes idées passagères qui s’évapora aussi vite qu’elle était venue.

2221... Cela ne me dit rien en fait.

San-Francisco, c'est déjà mieux. Beaucoup mieux.

Souvenirs ? Je réfléchis...

- « Aucun pour tout dire. Je sais des choses. Je sais par exemple où est SF. Donc je me situe. Mais avant... C'est bizarre. Je suppose que je devrais être effrayée, mais en fait. En fait, je crois que ce n'est pas important. La seule chose que je sais, c'est que ma mère était à SF, et c'est finalement la meilleur nouvelle de la journée : je suis proche d'elle. Je dois juste la retrouver. Vous pourriez me dire comment on va à SF ». Je me rends compte que ma dernière phrase n'était pas une question. « Enfin, si vous voulez bien. Et puis, une fois que je suis habillée. Chaque chose en son temps je suppose. »

Okay ! Ainsi elle ne se rappelait de rien, rien du tout, à part qu’elle savait où SF se trouvait. Ah ben au moins je pouvais rayer la mention « extra-terrestre » de la liste de ses origines, encore que ! …..Par contre ça se précisa un peu plus quand elle parla de sa mère.

Je fis une moue à sa déclaration. Elle voulait retrouver sa mère.

- Et bien……j’ignore si vous la retrouverez, c’est en tout cas tout le  bien que je vous souhaite mais…..il vous faut savoir qu’il n’y a plus grand monde qui vit là-bas, ceux qui ont survécu, et qui se planquent encore là-bas, on les appelle les invisibles, mais beaucoup d’autres sont morts….ou se sont enfuis. Enfin c'est ce qu'on m'a raconté....

Comme ça au moins elle savait que sa quête risquerait de la mener nulle part. Quant à comment s’y rendre.

- Pour s’y rendre, il vous faudra voir avec les archéologues, ce sont eux qui se chargent des explorations. Ils  ramènent parfois des trucs vraiment intéressants. Moi par exemple, je m’intéresse à tout ce qui est batterie, les mieux c’est les UR4G, énergie inépuisable ! Et elles risquent pas de t’exploser dans les pattes comme les premières versions.

Mais je doutais que tout cela l’intéressât. Alors je saluai Carmen en lui expliquant que la miss avait besoin de fringue, histoire que je puisse rendre la couverture que j’avais empruntée. Un échange intéressant de mon point de vue, mais le reste c’était à Carmen et à Satisfaction de négocier.

- « C'est parce qu'il faut les stabiliser avant. Vous devez faire un chargement lent, sans dépasser 40Mhz, et plutôt à 110V.».

Je m'arrête.

- « Ne me demandez pas : je n'ai aucune idée de la raison pour laquelle je vous dis ça... Ni pourquoi je le sais. ».

Un silence gênant s'installe, mais heureusement, nous arrivons chez la fripière. Mattie m'aide, déjà en me présentant. Parce qu'avec ma couverture pour seul vêtement et un tas de trucs de mecs, dont je doute de l'hygiène, je ne pars pas gagnante.

Finalement, après quelques discussions, je me contente de ce que la fripière me propose. Je vois bien à sa tête que Mattie pense que je me suis faites avoir, mais en bonne Nomade, elle n'est pas intervenue dans mes affaires.

Quand on ressort, je lui tends sa couverture et je pense utile de préciser.

- « Vous savez, je sais qu'elle est bien plus bénéficiaire du troc que moi. Mais cela m'est égal. Au moins je ne suis plus toute nue ! Je vous remercie pour vos conseils concernant les archéologues, mais je suis plutôt du type "à ma façon". Je compte y aller seule, enfin, accompagnée, mais là où je veux. Vous auriez quelques noms de joyeux dingues prêts à risquer leur vie pour me suivre ? Avec quand même l'avantage d'aller là où personne d'autres n'ira. Je ne me souviens pas de tout, mais j''ai connaissance d'une porte dérobée : laissée par ma mère pour que je puisse la rejoindre. Après, si elle est invisible, il me faudra compter sur la chance ».

Mue par une soudaine impulsion, je lui saisis l'avant-bras.

- « Je vous ai dit que j'étais redevable. Je le suis vraiment. Doublement. Donc, par deux fois, vous pouvez me demander ce que vous voulez, à n'importe quel moment. Serais-je même à 5m de ma mère que je viendrais faire ce que vous me demandez. Satisfaction paie toujours ses dettes. Vous comprenez ? ».

Je ne lui précise pas que ce principe s'applique dans l'autre sens, puisque cela ne la concerne pas : mais ceux qui ont une dette envers moi, doivent toujours la payer.

Tiens, d'où je tire cette certitude ?

Oh non je n’allais pas demander, même si elle me paraissait de plus en plus Bizaaaare ! Mais ça, je le gardai pour moi, affichant un sourire un rien crispé.

Je la regardai ensuite faire ses échanges, sans m’en mêler, restant là juste pour …. Récupérer la couverture voyons, pas par pure curiosité.

Et quand Carmen lui eut filé quelques affaires en échange de celles des abrutis, Miss Satisfaction me fit alors une déclaration qui je le sentis à son ton, se voulait d’importance.  

Elle me remercia me promettant qu’elle rembourserait sa dette… hum dit comme ça, j’avais l’impression de lui avoir prêté un tas de pognon mais sait-on jamais cette promesse pourrait un jour me sauver la viiiie !
Bref, je lui répondis un classique :

- Mais ce n’était pas grand-chose.

Oui, juste une couverture qui ne m’appartenait même pas. Mais ça ne m’empêcha pas d’écouter attentivement la suite. En résumé, elle voulait y aller seule, oui, mais accompagnée…..j’avais raté une coche là.

Quant à connaître des archéologues, un peu mon n’veux. C’est pas ce qui manquait par ici. Je souris en comptant sur mes doigts.

- Et bien, il y a Miguel, Santos, Mark, Mitch, Colin et beaucoup d’autres.….mais celui qui sera le moins regardant sur le prix de ses services, c’est sans doute  Wayne, il crèche dans la tente avec une tête de mort accrochée à son piquet central. Là-bas vers le sud. Il n’est pas tout seul dans sa tête, et il se parle beaucoup à lui-même.

Et je songeai soudain que les deux feraient une paire étonnante, mais je repris très vite.

- Mais il est gentil et il connait très bien les environs.

Bon là on allait peut-être se dire au revoir hein ? Je devais retourner à mes affaires et elle aux siennes qui concernaient des portes secrètes dans la ville, hum hum….Sauf qu’elle n’en avait pas terminé avec moi, et son geste me prit de court, me laissant un peu saisie, doublement donc.

Comme elle me le dit, elle m’était doublement redevable.

- Oui compris, j’ai très bien compris, merci Satisfaction et …. Et bonne chance avec votre porte dérobée. Et si jamais vous avez besoin d’un peu de bricole, je suis au Monster Truck, là-bas ! lui dis-je en désignant le monstre. Bonnn c’était pas vraiment un monstre, mais il dépassait quand même en taille la plupart des véhicules oubliés ici.

Quand même, dans les 5 minutes, ça me rappela l’histoire de Superman qui rappliquait fissa quand on appelait à l’aide. Non, non il ne fallait pas que je juxtapose le costume et la cape rouge à mademoiselle Satisfaction.

Le reste de la journée s’était passée sans trop d’incident. Au soir, Judéo était revenu avec quelques autres archéologues de San Leandro, avec quelques trucs intéressants qu’ils avaient ramené dans leurs véhicules. Jud gardait toujours des trucs sympas pour moi, même si lui, il s’intéressait surtout aux outils et autres matériaux de construction. Après s’être occupé de nos quartiers, il aidait désormais d’autres à améliorer leur espace.

Mais en l’occurrence, nous avions pour une fois un tout autre sujet de discussion, la nouvelle qui avait fait une apparition très remarquée dans le camp. Je ne manquai donc pas de raconter à Judéo ce que j’avais gardé pour moi toute la journée, et ce malgré les moults interrogations de nos voisins de camp et autres curieux qui avaient assisté à la « naissance » de Miss Satisfaction. Ouais parfaitement c’était son nom.

Et qu’est-ce qu’elle avait dit ? Qu’elle devait retrouver sa mère à SF et qu’elle connaissait une porte dérobée pour la retrouver et qu’elle voulait même organiser une expédition, et vint ce moment où je cessai de parler en voyant Judéo me fixer d’un drôle d’air.

- Quoi ?
- Tu lui as dit qu’on faisait des expéditions sur SF ?
- Nann ! je lui ai dis qu’il y avait des expéditions mais…..non je ne voulais pas parler de SF

Ou peut-être que je n’avais pas été très claire finalement sur la question. Elle en tout cas, avait bien l’intention de s’y rendre à SF.

- Par une porte dérobée…..

J’ouvris la bouche sans répondre, réalisant l’étendue de ma méprise et de ce que j’avais raté, trop occupée à me demander d’où elle pouvait bien venir, j’en avais zappé le principal. Je confirmai.

- Elle veut rentrer dans SF par une porte dérobée !
- OUIiiii ! Ok Ok, j’irai lui parler demain.

Il me fallait le fin mot de l’histoire, je lui avais parlé des archéologues et des expéditions mais….SF, ce n’était pas encore leurs objectifs. Pourtant c’était bien là qu’elle voulait se rendre non ?

Une ville qui jusqu’ici restait fermée à toute intrusion…..et elle elle connaissait une porte dérobée.
Et moi j’étais complètement passée à côté.

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