Projet Epsilon

1er Juin 10h00

Tout avait été organisé, savamment orchestré et pensée. La symbolique se démultipliait au point de donner la nausée à Tara qui pourtant assumait son rôle de potiche souriante avec sa grâce coutumière. Neuvième concubine de Raphaël, elle se tenait en arrière rangée, bien loin derrière les autres épouses et les enfants de celles-ci. Son fils n'étant pas issu de son union avec le Grand Théocrate, il n'était pas elle mais avec sa nourrice, sur une des estrades réservées aux familles de prélat, honneur qu'elle avait su décrocher en mémoire du père déclaré de l'enfant. Bien qu'Angelo lui manqua en cet instant, elle préférait le savoir loin en cet instant.

Tout devant, sur un trône de bois ouvragé recouvert de velours d'un rouge sanglant, Raphaël regardait la délégation de la Rédemption entrer en ville, remonter la longue allée pour venir le saluer d'un défilé ordonné et respectueux. Le regard de Tara s'attarda sur le profil d'aigle de son mari. Favorite indispensable, elle avait passé la matinée avec lui et le médecin pour qu'il puisse être en état de tenir toute cette journée de festivité. Celle-ci avait d'ailleurs été pensée pour lui ménager des pauses sans qu'il n'y paraisse, sous couvert de laisser la délégation venant de Détroit se reposer après ce long voyage. Quand on savait que cette dernière attendait depuis une semaine aux abords de Boston, on comprenait l'ineptie de cette raison avancée.

Les médicaments dont avait été gavé Raphaël ce matin faisaient leur effet et Tara retrouvait dans la morgue du visage du Théocrate, l'attitude inflexible de l'Inquisiteur d'autrefois. Derrière eux, l'ombre de la Tour rappelait ce qui arrivait à ceux qui s'opposait à lui. On y disait Ezechiel toujours emmuré, reclus dans une prière perpétuelle. Tara faillit sursauter quand le Grand Théocrate l'appela de sa voix sèche dans laquelle il n'y avait nulle trace d'accent souffreteux. "Tara, viens près de moi." Elle réprima toute surprise et s'exécuta aussitôt, docile, alors que le fiel du regard de ses rivales lui brulait la peau. Toute vêtue de blanc, celle qu'on appelait l'Ange de la Rédemption se glissa près de son époux. Celui-ci esquissa un geste dédaigneux sur le palanquin qui passait sous le balcon et qui portait un Archiprêlat en prière extatique "Salue donc ton maître" Tara réprima les battements désordonnées de son cœur, heureusement couverts par la musique religieuse forte qui s'égrenait des hauts parleurs dispersés dans toute la ville. "Je ne saurais avoir d'autre maître que mon époux. Monseigneur Pie III n'est que le guide spirituel de mon âme faible" Raphaël darda sur elle un regard bien trop aigu. Bien que Tara ait fait preuve d'humilité dans son ton et sa réponse, elle sentait parfois qu'il perçait son âme mais à d'autres moments, particulièrement quand il souffrait, il était bien moins perspicace. Cette journée allait être une longue épreuve pour ses nerfs.

Raphael fit un geste et Tara, obéissante, se mit à genoux à coté de là, resignée à cette posture d'humilité et de dévotion. En récompense, elle eut droit à une de ses caresses distraites sur sa chevelure. Une récompense qu'elle abhorrait. Elle baissa les yeux et s'abima dans ses pensées à défaut de ses prières.

#Tara

Faire plier une hérétique. Voilà exactement ce qui devait être fait. Le Révérend Sono Tornato se réjouit de cette scène. Mais il sait en secret qu'il doit encore ne pas le montrer. L'Hérésie de la Rédemption est hélas, officiellement, autorisée.

Il soupire. Ezechiel enfermé et la marionnette qu'est devenue le Grand Théocrate, pitoyable. Comment ne pas espérer que le Diable aller tenter de miner leurs efforts pour punir pendant 1000 ans l'humanité ? Qu'Il voulait tous les condamner ?

Si c'était lui. Oh, oui, si c'était lui assis là, la tête de cette femme roulerait sur le sol, le sang pouvant l'éclabousser. Il y trainerait ses doigts et le lécherait. Pour se rappeler qu'avec lui, la Bible et Sa Vérité Unique seraient les seuls juges des humains.

Tout à l'apaisement de ce genre de cérémonie, réglée, millimétrée par l'étiquette, j'en profitais pour repenser à ce qui s'était passée deux heures auparavant.

On m'avait convoqué, via mon supérieur, sans que je sache pourquoi. Un obscur et silencieux Prêtre était venu me chercher, et m'avait guidé dans des endroits que je ne connaissais pas du Saint-Siège.

J'avais fini par arriver dans une petite pièce, froide, sans lumière. Une simple bougie permettait de chasser les ombres. Il y avait là un seul prie-Dieu face à une immense fresque de l'Apocalypse, que je reconnus comme étant celle d'Augustin Frison-Roche, vieille de presque deux siècles.

La fresque:

Il me parut évident qu'on attendait que je prie devant ce rappel des fondamentaux de la Théocratie.

Bientôt, j'entendis une porte derrière moi. Une voix s'éleva dans mon dos, froide, sans détour, avec le timbre de ceux habitués au pouvoir absolu.

-"Vous connaissez la Volte, n'est-ce pas ?" J'acquiesçais d'un simple signe de tête. "Dans certains cas, la Théocratie ne peut pas dénicher ces cafards, sans être trop visible, trop prévisible. Elle a besoin de quelqu'un de plus... neutre pour cela. Vous comprenez ?"

Je crois comprendre. J'ai peur de comprendre. Le pari Pascalien guide ma réponse : je hoche la tête pour montrer que je comprends.

-"Il vous sera remis dans la soirée, en main propre, votre Bulle de mission..." La voix se tait soudainement.

-"Audita Primens sera son nom. La première croisade de l'après Apocalypse ne méritait pas moins. Vous en serez le bras armé. Solitaire, mais pas seul : Dieu est avec vous. Plus important, JE suis avec vous.".

La voix se tait, mais je l'aurais reconnu entre toutes celles du Saint-Siège.

L'autre voix reprend.

-"Par la Bulle Audito Primens, vous aurez les pleins pouvoirs pour enquêter sur l'intégralité de la hiérarchie de la Théocratie, à l'exception de l'Archidémon. Vous comprenez que ce ne sera que la seule exception. Nul autre ne pourra se prévaloir de son rang. Nul autre. Même pas moi."

Un frisson me parcoure. "même pas moi". Je crains de comprendre la nature de ce second personnage. Qui peut parler d'enquête inquisitrice ? Qui peut parler de croisade contre les suppôts du Diable ? Qui peut dire que "même lui" est concerné ?

Au silence qui se fait dans mon dos, je comprends qu'il sait que j'ai compris. J'entends un froissement de lourds tissus. Une main se tend vers moi, avec un anneau maître. Je le baise en fermant les yeux tant l'émotion qui m'étreint est forte. Les tissus bruissent de nouveau, s'éloignant de moi.

La voix qui s'est adressée à moi, sauf une fois, conclut.

-"Trouvez tous les chiens de Satan qui complotent au sein même de notre hiérarchie. Trouvez leur chef. Vous ne rendrez de compte qu'à celui qui vous confie ce pouvoir, et quand il vous le demandera seulement." Il marque un temps de silence. "Vous savez en votre cœur que pour le salut de nos âmes, et le salut de votre corps, votre échec n'est pas une option". Puis un silence, et j'entends la porte, sans aucun doute dérobée, qui se referme.

Je prends encore le temps de prier, de louer Dieu de cette marque absolue de confiance en mon intégrité.

Enfin, je me lève. Quand je sors, un autre prêtre me guide de nouveau vers des lieux plus connus. Avant de me laisser, il me tend un cylindre. Je reconnais immédiatement le contenant d'une bulle du Grand Théocrate.

En regardant la cérémonie, ma main se glisse vers une des poches de ma soutane noire. Je sens le contact du vélin. Je pourrais réciter par coeur les mots de la Bulle Audito Primens, La Première Croisade de l'après Apocalypse...

Mais je n'en retiens que deux mots. "Nul autre".

Mon regard froid parcoure l'assemblée, s'attardant sur l'archiprêlat Pie III.

Jusqu'où pourrais-je aller ?

Tout ne tiendra qu'à ma capacité à rester le plus inaperçu, le plus neutre, le plus terne.

Le plus comme eux.

Patiemment, je progresse lignes de fidèles après ligne de fidèles, puis lignes de prêtre après lignes de prêtre. En ce lieu, qui oserait faire une remarque à un homme avec une tenue de Révérend ?

Dans sa posture pleine d'humilité, Tara attendait que ça passe. C'était une compétence acquise depuis longtemps, une forme méditative qui pouvait passer pour de la prière. Elle en arrivait à ne plus sentir le sol dur sous ses genoux, ni la main de Raphael quand celle ci l'effleurait, dominatrice. Elle savait que tout à l'heure, celle ci s'appesantirait sur sa peau de lait à la marbrer de rouge et de violet comme autant de marques de possession. Pour l'instant, aveugle à ce qui se passait en bas - Tara était myope et ne distinguait de toute façon qu'une masse informe et mouvante - elle calculait qu'elle pourrait se rendre au Neuvième Cercle ce soir puisqu'elle n'était pas invité au repas des Prélats ce soir. Seule la première épouse l'était, la mère d'Henoch. Il était bien heureux qu'elle y échappe, ses relations avec le fils ainé et la première Epouse étant on ne peut plus tendues bien qu'elle s'efforça sans cesse de les apaiser.

Elle était la seule des épouses de Raphael à être Rédemptrice, la seule aussi à être une ancienne esclave ramenée dans le giron de la Théocratie par son premier époux, feu le Révérend Doom. Nombreux étaient ceux qui pensaient qu'elle aurait du être sacrifiée comme il était prévu avant sa fuite, et encore plus nombreux étaient ceux qui dans son dos l'appelait la Salope de la Rédemption. Pourtant, elle bénéficiait de l'appui de Pie III et elle était l'épouse de Raphael et pour le moment nul n'osait s'en prendre ouverte à elle. Jusqu'à quand ? Tara savait qu'elle était sur le fil du rasoir, et si elle avait peur, ce n'était pas tant pour elle que pour Angelo, son fils - officiellement né de son union avec le Révérend mais qu'elle savait, elle, né de son union adultérine avec me Capitaine William Sparks - et pour cause Doom était un mutant incapable de lui donner des enfants, comme elle l'avait découvert avec rage juste avant sa mort.

Les fidèles, les sœurs, les prêtres. Rien de trop difficile quand on est révérend. Pour tous, je suis de rang supérieur, donc nul ne songerait à réagir à mon avancée parmi eux. Ils râlent sûrement, mais in-petto.

Je reprends mon souffle. Bientôt la salle va se figer et là, le moindre mouvement sera noté.Je dois me dépêcher, mais maintenant il me faut remonter le carré des Révérends. Tous égaux, mais avec une solide certitude quant à leur hiérarchie secrète : ancienneté, services rendus, position lors des repas... Tant de paramètres ridicules.

Pour me donner de la force, je descends ma main dans la poche droite de ma veste. Le contact du métal me rassérène.

Je reprends ma progression.

INFOS+ si qqun fait attention:

J'en rirai si je pouvais. Dans ma tête tourne cette blague absurde : Dieu doit être avec toi, puisqu'il t'a permis d'arriver là...

N'empêche que maintenant, j'hésite. Ce n'est pas tant l'effet des drogues inhibitrices qui fait défaut, que le puissant instinct de survie qui lutte contre ces dernières et moi-même. Avoir fait un brin d'humour menace d'ouvrir les portes derrière lesquelles les drogues et ma préparation l'ont enfermé.

Je vois leur chef à une trentaine de mètres, avec ses femmes autour, et la plus jeune à genou, supportant sa main comme le ferait un chien. Je trouve cela abjecte et ça me donne le coup de fouet qui commence à me faire défaut.

Trente mètres. Ce serait merveilleux de pouvoir arriver juste à côté de lui, mais je ne rêve pas. Ses gardes me plaqueront au sol avant et tous nos efforts deviendraient inutiles. Le plus important maintenant : aller le plus loin possible, mais surtout déclencher debout pour être le plus efficace, que mon sacrifice ne soit pas vain.

Je m'élance et suis immédiatement repéré. J'ignore s'ils pensent que c'est par amour fanatique que je me précipite vers ce débile et sa cour ou s'ils comprennent. Quand ils sont plus qu'à deux bras de moi, j'hurle "ENFOIRES DE MES DEUX ! DIEU EST MORT ! CREVEZ TOUS ! VIVE LA VOLTE !"
Et mon pouce droit enfonce le bouton.

6 kg d'explosifs militaires, malaxés avec des boulons et des clous et avec des centaines de billes posées sur la face avant explosent dans une détonation assourdissante.

Les fidèles les plus proches sont fauchés tels des blés, le carnage frappant en un magnifique cercle de mort. L'onde de choc s'élève et fait exploser les rares vitraux.

La course des gardes vers le terroriste leur aura coûté la vie, mais ils auront indiscutablement fait écran aux éclats et au souffle dans l'axe du trône du Grand Théocrate. Les épouses et leurs enfants, debout sur les côtés n'ont pas bénéficié de cet écran. Seule la chance (Dieu ?) épargne certaines et certains enfants. Pour les autres, les billes lancées à plus de 300m par seconde les perforent. Ce sont les plus chanceuses car elles pourront s'en sortir si du moins aucun organe vital n'est touché : les billes sont lisses et font des blessures "propres". Les épouses et enfants qui ont la malchance d'être atteints par un boulon ou un morceau de métal ont les chairs déchiquetées. Si le mort ne leur est pas accordée en l'instant, alors commence leur atroce agonie dans de terribles souffrances.

Les gardes ont aussi protégé Tara Malone, ainsi que sa position à genou. Mais elle est pourtant heurtée violemment par quelque chose à la tête, qui lui fait l'effet d'un coup de boule. Elle s'effondre sous l'impact, sans perdre connaissance cependant.

Le bruit a assourdi tout le monde. Chacun voit désormais la scène se poursuivre comme au ralenti, dans un silence quasi obscène. Des silhouettes se meuvent, comme de sinistres danseurs. Certains avancent sans bras, ou d'autres encore cherchent le leur dans les morceaux humains. Des gens implorent, pleurent, mais personne ne les entend. Le nuage de poussière soulevé par l'explosion rajoute une touche d'irréel mais aussi de fin du monde.

Restant sur le côté, comme elle est tombée, Tara voit une mère sur l'estrade des familles essayer de rassembler les morceaux de son enfant, alors même que son propre bras pendouille, uniquement retenu par ses tendons. Elle finit d'ailleurs par tomber en avant, sans doute morte debout.

C'est alors que le regard de Tara Malone se fixe sur ce qui a dû taper son front.

Une tête arrachée, écrasée sur le côté droit, avec un œil qui pend hors de l'orbite et semble la fixer.

La tête de la nourrice d'Angelo.

COMPLEMENT INFOS HRP:

Elle ne comprit pas ce qui lui arrivait. Elle s'effondra, les oreilles bourdonnantes, le monde flou et instable. Autour les cris n'étaient qu'un brouhaha sifflant. Une odeur âcre la prit à la gorge. Quand elle parvint à ouvrir les yeux, ils se mirent à larmoyer à cause de la fumée et de la poussière. Son regard se posa sur ce qui l'avait heurtée. Jeanne. La nourrice d'Angelo. Ou plutôt sa tête, une expression d'incrédulité comme si elle s'étonnait d'être morte. Un gémissement se bloqua dans la gorge de Tara. Elle s'écorcha les mains au sol en se poussant vers l'avant pour se remettre debout. Elle ne comprit pas tout de suite que c'était la poigne de Raphael qui la ramena en arrière en la tirant violemment par les cheveux. Elle bascula sur les fesses dans un couinement de frustration, de peur, cet appel primal d'une mère affolée pour son enfant.

Dans un élan instinctif, elle s'arracha à la poigne de l'Archidémon*. Elle dégringola l'estrade, tombant plus qu'elle ne descendait volontairement pour se précipiter vers la zone où se trouvait avant la nourrice et Angelo. Mue par un instinct ou était-ce la chance, ou la main de Dieu ? Elle trouva l'enfant gisant au sol*. Une tâche rouge s'étendait sur sa culotte courte autrefois d'un blanc immaculé. Le cri de Tara se perdit dans la foule gémissante et la voix de Raphael qui enflait derrière elle tandis qu'elle pressait ses mains pour compresser l'hémorragie.


*Utilisation d'un point de chance pour réussir + 1 autre pt de chance pour trouver l'enfant dans la foule

J'émerge, mais tout reste cotonneux. Ce que je vois, ou entends, ce ne sont que des flashs d'images et de sons assourdis.

En fait, je ne commence à comprendre qu'il vient de se passer quelque chose de très grave que lorsque la douleur irrigue enfin mon cerveau sous contrôle de l'adrénaline. Alors je fixe mes bras, que j'ai encore, puis mes jambes, qui ne se portent pas plus mal. En revanche, ma veste déchirée et ma chemise blanche désormais rouge, ainsi que les petites bulles en surface m'indiquent que j'ai été touché.

Je tente de me relever, mais retomber aussitôt au sol.

Dans le ventre, ce n'est jamais bon, mais pour autant, je sens que je pourrais marcher, pour peu que je prenne le temps que mon corps et mon esprit parviennent à refonctionner dans le même cadre espace-temps.

Quand Tara Malone s'échappe à sa poigne, il ne laisse rien échapper. Les misérables créatures humaines sont ce qu'elles sont, les femmes en tête. Pécheresses, faibles, emplies de contradictions parce que forgées dans l'émotion.

Son regard plane sur le lieu et il ne voit rien qui puisse le rendre fier. Touchés dans leur corps, les fidèles oublient les raisons mêmes qui forgent ce qu'ils sont.

Alors Raphaël l'Archidémon, le Grand Théocrate, se lève. Sous les effluves des drogues que son corps émet pour s'être senti mis en danger, il retrouve quelques minutes toute la force et la superbe qui furent la sienne, qui marquent son règne. Sa voix s'élève alors, ilot de force et de stabilité dans le chaos, elle prend de l'amplitude, résonne dans le lieu par-dessus les cris de souffrance et d'agonie, ou les pleurs des uns et des autres devant l'état d'être chers. Quand ils reparleraient de ce moment précis, les témoins certifieront avoir entendu le Premier des Quatre Vivants, et sa voix était comme le tonnerre.

"Cessez ! MAINTENANT ! Nous sommes les Démons : nous sommes les envoyés de Dieu pour faire expier l'humanité. Est-ce qu'un seul suppôt de Satan peut seulement changer cette certitude ! Dieu vient de nous rappeler à l'ordre : nous ne devons pas faiblir. Et nous ne faillirons pas. Qu'on cesse de soigner les blessés. Qu'on laisse l'agonie leur rappeler le poids du péché humain, de nos péchés, ici à Boston ! Nous avons failli, car nous avons toléré trop longtemps l'intolérable. Nous avons accepté le compromis, au détriment de notre mission première. QU'ON CESSE DE PORTER SECOURS ai-je dit ! Nous ne céderons en rien à cette intervention du Diable pour nous détourner de nos buts impératifs. Nous continuons céans notre réunion. Est-ce que les cris des Damnés peuvent interrompre nos actes pour Dieu ? FAITES RENTRER la délégation de la Rédemption. "

Et puis la superbe disparut, tandis que l'Achidémon était pris d'une quinte de toux. Il se laissa retomber sur son trône, plus qu'il ne se rassit. Mais sa voix d'antan avait touché le cœur des fidèles présents. Beaucoup se détournèrent des blessés, abandonnant leurs soins.

Après un chaos certain, les plus zélés rétablirent les carrés en poussant de grands cris. Fidèles, Sœurs, Prêtres et Révérends se reformaient en grand majorité, parfois en piétinant des morceaux de corps, parfois en piétinant des agonisants. Ceux qui n'avaient pas obéi virent bientôt venir vers eux des membres du clergé, pour les plus chanceux, ou l'Inquisition, pour les moins chanceux.

La seule vraie question maintenant était : est-ce que l'archi-prêlat reprendrait le protocole où l'explosion l'avait interrompu, comme si de rien n'était ?

La voix de L'Archidémon me rappela combien insignifiant je pouvais être. Prenant sur moi, me morigénant pour la grimace de douleur que je ne sus contenir, je me relevais finalement.

Son discours était fort, encore une fois visionnaire. Si nous perdions du temps à prendre soin des blessés, si nous retardions ou annulions la réunion, alors ceux qui avaient commis cet acte satanique auraient gagné. Nous devions absolument redresser la tête et faire comme si de rien n'était. Les subterfuges du Malin ne devaient pas nous atteindre. En revanche, une question se mit à me tarauder : y avait-il un lien entre la remise hier de la Audito Primens et cet événement ? Enfin, évidemment, il y avait un lien : on m'avait mandaté pour, par-dessus l'Inquisition, enquêter au sein même du clergé et en expurger les créatures du Diable qu'étaient la Volte et ses sympathisants. Or, la Volte venait de frapper au cœur même de notre Église, ce qui démontrait à la fois sa détermination et ses liens avec de nombreux membres des gardes et du clergé pour avoir réussi à s'avancer aussi loin dans la nef. Donc tout cela était d'évidence lié. Ce qui me turlupinait était de savoir pourquoi cette bulle juste la veille d'un attentat ? "Nul "autre" ne pourra se prévaloir de son rang". Nul autre que l'Archidémon ne devait faire l'objet de mon enquête inquisitrice. Et pourtant là, mes premières questions essentielles remontaient vers lui...

Je secouais la tête et pour chasser ces questions impies, je me résolus à faire appliquer avec détermination l'ordre de l'Archidémon. Avisant une femme encore assise, un enfant ensanglanté dans les bras, je me dirigeais vers elle.

- Lèves-toi femme ! Et laisse l'avenir de cet enfant au Jugement de Dieu : ainsi l'a ordonné l'ArchiDémon.

Accompagnant la parole du geste, je la saisis fortement par le bras pour la forcer à se relever et reconnus alors l'une des épouses de l'Archidémon, Tara... quelque chose. Un instant je suspendis mon geste, puis me rappelant les propos de la veille et le nouveau pouvoir dont j'étais investi, j'ajoutais - Obéissez ! Votre rang d'épouse et concubine vous l'impose encore plus qu'à tous !

Elle n'avait même pas écouté le discours qui avait pourtant enflé dans l'air comme un coup de trompette annonçant une nouvelle Apocalypse. Elle ne l'avait même pas entendu. Déchirée de l'intérieur par une souffrance indicible, elle s'efforçait seulement d'arrêter l'hémorragie qui se répandait, visible nappe rouge sang sur les vêtements blancs, sur l'asphalte noir. Quelqu'un essaya de l'arracher à son fils, sa chair, son sang et elle feula comme une tigresse. Son regard bleu était assombri, les pupilles dilatées par le choc. Exit la coiffure parfaite, le maquillage subtil, l'air d'humilité béate et soumise. En temps normal, elle aurait tenter la persuasion ou elle aurait négocier, mais elle n'était même pas en état de réfléchir. Elle n'était plus qu'un animal, une mère défendant son petit. Sa posture montrait très clairement qu'elle arracherait les yeux de quiconque tentant de la séparer d'Angelo.

Cette attitude était non seulement inadmissible, mais faisait honte à une épouse de l'Archidémon. Incapable de la bouger tant elle était enfermée dans sa misérable douleur, qui était tellement insignifiante au regard de l'infinie douleur de Dieu devant nos péchés, je me résolus à chercher du regard deux Gardiens de l'Inquisition. Je claquais des doigts à leur encontre.

Fronçant les sourcils, et après s'être entre-regardés, ils se décidèrent finalement à me rejoindre. Je pris alors le rouleau dans ma poche et leur mit sous le nez.

Audito Primens...

- Emmenez-la loin d'ici. Et laissez le gosse ici. C'est à Dieu de décider.

Les deux gardes écarquillèrent les yeux.

Ils marquèrent un salut de la tête pour montrer qu'ils avaient compris.

Le premier saisit le bras de Tara Malone, tandis que le second avait pour nette intention de lui arracher son enfant des bras.

Tara gronda, s'accrochant à son fils pour le tenir contre elle. Elle se redressa, le visage flamboyant d'une colère divine, toisant les hommes qui voulaient dicter sa conduite. La voix ferme, volontaire, elle cita "Si quelqu'un n'a pas soin des siens, et principalement de ceux de sa famille, il a renié la foi, et il est pire qu'un infidèle. Je ne serais pas cette infidèle." Elle se leva, portant son fils. Il mourrait dans ses bras ou serait sauvé, mais elle ne le laisserait pas. Pourtant, elle savait qu'elle ne pouvait pas défier Raphael, mais elle pouvait retourner vers lui. Elle savait que sa soumission pouvait seule sauver son fils, seulement, elle la jouerait à sa façon parce que nul autre ne l'aiderait qu'elle même. "Je rejoins mon mari avec mon fils, laissez moi passer car par le mariage le mari et la femme ne sont plus deux, mais ils sont une seule chair. Que l'homme donc ne sépare pas ce que Dieu a joint."

Les templiers la lâchèrent, ne sachant pas s'il pouvait empêcher la Neuvième femme de rejoindre son époux l'Archidémon***. Le mari ne devait-il pas gérer sa femme ? Ils interrogèrent le prêtre du regard. Profitant de cette seconde, pâle, ensanglantée du sang de la chair de sa chair, Tara avança vers l'estrade et Raphael en serrant Angelo contre elle, comme s'il était une dernière offrande. Les larmes ne coulaient plus sur ses joues et brillait dans ses yeux une absolue certitude aussi forte que la Foi, celle qu'elle devait sauver son fils.

***
Persuasion 1 Réussite

Raphaël la regarde, et dans ses yeux elle lit le courroux.

Mais il n'a pas le temps de parler ou d'agir car déjà rentre non pas la délégation comme prévue, mais l'Archiprêlat Pie III accompagné de quelques Rédempteurs.

Raphaël ordonne à Tara de reprendre sa position à ses côtés. "Nous reparlerons de ta désobéissance. En attendant, tu obéiras à ce que j'ai ordonné. Que Dieu décide pour ton enfant et tu attendras Sa volonté. En attendant, ne me fais plus honte, ne me fais pas être vu comme faible par ton comportement erratique."

D'évidence, l'archiprêlat ne se dirige pas vers l'estrade. Il marche en regardant à droite et à gauche, effaré pas seulement par l'attaque et les blessés, mais très clairement par l'indifférence manifestée par l'ArchiDémon et ses fidèles. On sent qu'il hésite. Puis son regard se redresse vers l'estrade.

Hors de question que nous discutions de l'avenir de la Théocratie dans le sang de ses fidèles. Leur corps mutilé est un signe. Nous devons leur donner une chance de vivre et donc d'expier dans la souffrance de l'épreuve imposée par Dieu.

Il se tourne alors vers les siens.
Qu'on soigne ces fidèles immédiatement. Avec toutes nos ressources.

Tara Malone peut sentir la tension qui soudain entoure l'Archidémon. Son adversaire vient de le défier en public, ce qui est encore pire sans doute à ses yeux que la bombe qui vient d'exploser.

Raphaël se met à tousser.

HRP:

Je suis tellement sidéré par la scène que je viens de voir que j'en reste cois. Mais d'évidence, il se passe ici des choses graves, et il ne s'agit pas seulement du Démon de la Volte. D'autres démons ont la main sur les âmes et les cœurs de certaines personnes, à commencer par cette femme qui a désobéi à son mari, donc failli à ses devoirs, tout en rappelant d'autres devoirs qui lui ont permis de berner les deux gardes de l'Inquisition. Ces deux-là d'ailleurs viennent d'entrer dans mes petits papiers.

Et elle, vient de passer au sommet de la liste des personnes à convoquer et à interroger.

Le second se trouve être désormais l'Archiprêlat.

HRP:

Rien n'avait d'importance qu'Angelo. Peu importe les représailles ou les risques si l'enfant était sauvé. Tara n'avait d'ailleurs pas lâché l'enfant. Elle redressa la tête quand Pie III prit la parole, une lueur d'espoir dans le regard venait de s'allumer, vivace. A cet instant, Raphael toussa et Tara reconnut dans cette toux l'affaiblissement qui rongeait l'Archidémon. Les drogues avaient toujours eu leur limite.

Mais ce n'était pas le souci de Tara pour l'instant. Elle fit un signe discret à un des rédempteurs qui se déployaient déjà pour soigner les blessés. Elle était une proche de feu l'archidemone Sarah, elle était une fidèle de la première heure de Pie III, la veuve du très honorable Révérend Doom (ils ignoraient tous sa vraie nature, elle en avait pris soin) Elle était connue et reconnue.  Elle parvint à attirer l'attention d'un des soigneurs et  lui tendit son fils avec un regard implorant. Elle ne pouvait rien de plus et elle avait la sensation de manquer d'air parce qu'elle était déchirée entre le fait de devoir se séparer de l'enfant, de le remettre entre d'autres mains et la certitude que si elle ne le faisait pas, il était condamné.

Spoiler:

L'Archidémon rage intérieurement. Mais que peut-il faire ?

Face à la mort, les humains sont prompts à céder au Diable, au lieu d'attendre avec sérénité de pouvoir voir leur Créateur. Ils s'accrochent de façon ridicule à leur petit souffle.

Il sait qu'il a perdu la face et du pouvoir dans ce qui vient de se passer.

Alors il se lève, avance dans la nef où la poussière retombe sur des rédempteurs portant secours, et quand c'est possible, soins aux blessés.

Il avise l'homme à l'enfant. Il le rattrape. Il prend le petit corps ensanglanté, ce que l'homme ne peut lui refuser. Puis le tenant par les pieds, tournant son regard vers Tara, toujours immobile au milieu de l'allée, Tara qui lui a désobéi, il fracasse le crâne du nourrisson sur un pilier de pierre, sous un hoquet horrifié du rédempteur auquel il l'avait repris.

L'archidémon lâche le cadavre, et redescend l'allée.

Il n'a plus rien à faire ici.

Tara suivit du regard le Rédempteur qui emportait son fils, elle en oublia Raphael et bien mal lui en prit. Il entra dans son champ de vision myope tel une tâche sombre annonciatrice de malheur. Sa robe noire faisait de lui la Faucheuse quand il se saisit d'Angelo. Elle n'avait accepté le mariage que si Angelo restait avec elle, mais il l'avait toujours haï, cet enfant qui lui rappelait sans cesse qu'elle avait osé partir et appartenir à un autre, et pire encore cet enfant qui accaparait une part de l'attention de Tara, et son amour plein et entier.

Le cri qu'elle poussa suspendit le temps. Le cri d'une mère qui mourait avec son enfant, le cri de pur désespoir. Il n'y entrait même pas encore la colère ou la haine. Un cri où on entendait le déchirement mêlée à cette note d'incrédulité, ce besoin fou de croire que ce n'était pas vrai. Ce moment où l'esprit aimerait travestir la réalité pour lui donner une autre alternative mais où pourtant au fond il réalise déjà ce qui se passe. Il sait bien que les petites gouttes chaudes sur le visage sont le sang de l'enfant porté en son sein, élevé avec un amour inconditionnel. Il sait la mort, l'anéantissement.
Et l'insupportable douleur est telle que le cerveau miséricordieux opère comme un fusible.

Tara s'évanouit, s'effondrant sur le sol, inerte.

La suite pour Tara



HRP  
@Sean O'Connor  : je t'ai laissé le temps de réagir.

Je poursuis sous le lien ci-dessus avec Tara.

Pour Sean: