Projet Epsilon

1.05.21

J’avais dépassé le campement depuis quoi ? Une heure ? Plus ? C’était un pari risqué mais j’avais encore assez de fuel pour faire quelques kilomètres en plus, juste un peu plus et après je ferai une escale, je trouverai bien un moyen de me réapprovisionner.

Certes, Chinook n’aurait pas approuvé. Et si elle apprenait ça, j’allais prendre un savon. Mais c’était plus le temps de faire des tests. Là on était dans le vif, dans le vent, dans le présent. Un test en grandeur réelle ! J’avais déjà tenu cinq heures, je devais tenir quelques minutes de plus.

Sauf que ma jauge d’essence se mit à déconner grave et ce n’est pas en tapotant son écran que je réglai le problème. L’aiguille fit une brusque chute vers le bas, m’arrachant un juron.

- Ok, on dirait que le voyage va s’arrêter ici pour aujourd’hui !

Allez, il me fallait une zone d’atterrissage sans trop d’obstacle si je n’voulais pas terminer dans le décor.  J’enclenchai rapidement mon cartographe, et repérai une route toute proche. Juste ce qu’il me fallait ! L’asphalte lisse ou presque, mais en tout cas, la ligne était parfaitement droite. Je tirai sur la barre de direction pour faire virer légèrement l’engin afin de l’aligner et commençai à descendre doucement.

Sauf qu’il y avait un truc que j’avais pas prévu dans mon atterrissage d’urgence : une énorme voiture noire qui me fonçait droit dessus. Oui enfin peut-être que techniquement on pouvait dire que c’était moi qui fonçai sur lui. J’allais le toucher, j’allais m’écraser sur son pare-brise comme un putain de moustique. Quoique si je ne faisais rien, on allait morfler tous les deux.

Je virai brusquement, trop, mais c’était ça ou l’accident. Je n’étais plus qu’à quelques mètres du sol. Pas le temps de calculer, d’anticiper ni rien. Je me dépêchai de défaire mon harnais, et voyant un sol décidément beaucoup trop proche. Je m’éjectai de mon siège, pour me ramasser sur moi-même dans une acrobatie fort involontaire et rouler, rouler encore, jusqu’à m’arrêter enfin, le nez dans la terre, oui enfin je portai un casque heureusement !

Tout ça créa un beau nuage de poussière. Je restai un instant sans bouger, puis commençai par replier mes bras, ok, rien de cassé à ce niveau. Il faut dire que le parkour m’avait formé à toutes sortes d’obstacles, mais aussi à savoir tomber sans se faire trop de mal. Mais jamais jusque là, je n’avais eu à m’éjecter d’un ulm en train de s’écraser.

Derrière moi, à plusieurs dizaines de mètres, je ne le voyais pas encore, mais l’aile de l’Ulm était brisée, le pan droit retombant mollement, et le châssis de la direction était maillé.

Ah, quelle agréable balade, et ça faisait longtemps qu'il ne s'était pas senti aussi bien. S'il y avait eu Jane à ses côtés, ça aurait été une après-midi parfaite. La route s'étirait sans personne et Alan rêvassait à moitié quand soudain surgit face au vent - non pas le héros de tous les temps - mais bel et bien un engin volant (!!!) qui lui fonçait dessus ! C'est in extremis qu'il braqua en même temps que l'engin (et heureusement pas dans le même sens) et il pila, encore ébahi, sous le choc.

Il se ressaisit très vite et attrapa son fusil posé sur le sol du passager à sa droite. C'était surement une attaque pour lui voler son carburant, il ne voyait que ça. Sauf que l'engin volant était en vrac un peu plus loin et son occupant avait disparu dans les herbes. Alan arrêta le moteur, et mit les clefs dans sa poche avant de sortir prudemment, le fusil en joue. Il checka les alentours mais il n'y avait que le truc qui volait et son passager. Pas d'autres menaces a priori. Mais prudent, il ne laissa pas la voiture et se contenta de crier de loin. "ça va ?"

Je me redressai lentement, prudemment, vérifiant si tout était ok chez moi. Non mis à part quelques égratignures et un jean déchiré aux genoux, et sans doute des douleurs qui se réveilleraient plus tard à cause du choc de la chute, j’m’en étais plutôt bien sortie !

Je levai alors la tête vers mon ULM et là je vis les premiers dégâts évidents au vu de la gueule de l’aile.

- Et merde !

Ca c’était vraiment, vraiment pas bon ! Je m’en étais peut-être sortie indemne de cette histoire, mais pas dit que Chinook me laissât les mêmes chances. Ok, ok, rien n’était encore perdu…. Il me suffirait de trouver un réparateur et….

- Ça va ?

Ah…..ça c’était une toute autre histoire. Je regardai aussitôt autour de moi, ma main allant instinctivement chercher un de mes glocks. Ouais tout était bien en place.  Et je vis un type…. Vers la route, puis sa caisse, celle qui avait failli m’emboutir.
Je me redressai lentement, avisant son fusil.

- J’ai déjà vu mieux ! répondis-je en donnant de la voix, voix quelque peu déformée par le casque « moto » que je portai toujours.

Une fois debout, je retirai finalement le casque, sans relâcher ma vigilance et d’un geste machinal, je vérifiai que mon écharpe était toujours bien en place, avant de jauger le type.

- Quoi ?? Vous allez m’tirer comme un lapin parce que j’vous ai fait dévier de votre route ??? Comment j’pouvais deviner qu’il y aurait quelqu’un ? Et puis c’est pas comme si j’avais eu le choix, marmonnais-je, avec un regard rapide vers le ULM.

Sur le moment, pas question de relâcher sa vigilance ou de baisser la garde. De jeune homme sociable et fougueux, Alan était devenu un homme méfiant par la force des choses. Seattle avait bien changé et lui aussi. Les deux plus gros changements avaient été initiés par sa période chez les Sunrise, puis par la mort de Jane - pour le protéger. Avec la Horde Verte, le fond de naïveté aimable du jeune homme s'était bel et bien fait la malle. Les jolies jeunes femmes avaient tendance à servir d'appât pour les nigauds. Il prit quelques secondes pour analyser la situation et les environs et admit intérieurement que le plan aurait été foireux en matière de brigandage. Et vu l'état de l'engin dans l'herbe, il n'aurait pas besoin que d'essence. Alan baissa donc son fusil et haussa les épaules "on est jamais trop prudent."

Il avança de quelques pas, sans trop s'éloigner du véhicule bien qu'il en ait gardé les clefs. N'importe qui pouvait démarrer une voiture de cet acabit avec un peu de doigté, raison pour laquelle lors de halte, il valait mieux soit dormir près de la caisse, soit au milieu d'un campement nomade. Alan montra le machin volant d'un air dubitatif. "tu vas jamais savoir repartir..."

J’avais rien, quasiment rien. Des fringues déchirées ? Mais ça, c’était pas important, pas plus que les éraflures ou les marques que je porterais le lendemain. Pourtant j’étais sous le choc, parce que ce que je voyais c’est que l’ULM était foutu. Oh on pourrait le réparer, mais il faudrait du temps, du matériel et surtout de bons mécanos, ce que je n’étais pas.

Et du coup je me retrouvai immobilisée sans mon ulm et obligée de poursuivre la route par les terres, tout ça parce que j’avais agi inconsidérément. Alors au-delà du choc, j’étais en colère….contre moi-même avant tout.  
De fait c’était pas ce type avec son fusil qui allait faire redescendre la pression. Je rétorquai pour le coup, sur la défensive. Et ce fut sa réponse laconique plus le fait qu’il baissa son arme qui doucha un peu ma colère. Je l’observai, puis ricanai sans humour à sa remarque :

- Remarquable perspicacité ! dis-je ironique.

Je soupirai en retournant auprès de l’Ulm, pour décrocher les sangles des deux sacs de chaque côté du châssis des sièges. Heureusement, eux étaient intactes. Et tout en m’activant à récupérer ce que je pouvais récupérer, je me tournai de temps à autres vers le gars.

- Tu sais ce que ça signifie tout ça ?

Je me redressai un instant en faisant un geste vague vers l’ulm et les sacoches.

- Que tu vas devoir m’emmener avec toi.

Puis comme il restait là à me regarder.

- Si tu m’aides, on ira plus vite. Je prends la caisse, je te laisse les sacs ! J’embarquai la caisse pas trop lourde mais très encombrante.

Etait-il trop méfiant ? A son avis, on ne l'était jamais trop. Il avait vécu trop de galères et de coups de couteau dans le dos pour qu'il en soit autrement. Au moment où il avait renoué avec les SR et sa famille, tout avait salement basculé et son caractère s'en ressentait. Sans doute était-ce pour ça qu'il n'avait pas su rester à Seattle et campement. Ce n'était pas la défiance des autres qui l'avait gênée mais la sienne. Il était préférable d'aller faire son grumpy tout seul, loin de la civilisation. Sauf que celle-ci le rattrapait toujours. L'homme est un être sociale à ce qu'il parait.

Il lutta contre lui-même avant de baisser son fusil avec une note de réprobation envers lui même. Il devrait se casser manu militari. Les problèmes de cette fille n'étaient pas les siens. Mais voilà, il était déjà pris au piège de la sociabilité ou l'humanité, ou quelque chose dans ce goût là.  Il soupira intérieurement et se chargea des sacs comme elle le lui dit. Le coffre de la voiture était assez grand et Alan n'avait lui-même que peu d'affaires, une tente, de la bouffe pour plusieurs jours, une caisse à outils et quelques trucs indispensables comme de la corde, un jerrican d'essence, des fringues de rechange...

J'vais vers Salt Lake" Dit-il bien décidé à ne pas dévier de sa route même si elle semblait venir de là-bas et non pas y aller. Sinon il n'aurait pas failli se la prendre de plein fouet. Il s'installa au volant et vira du siège passager la vieille carte froissée qu'il passa sur le siège arrière où gisait un oreiller, une couverture. Par terre, il y avait une gourde qu'elle pouvait aisément esquiver. Maintenant qu'ils devaient faire le trajet ensemble - peu importe quel trajet - il n'allait pas se montrer plus ours que nécessaire. Il fut un temps (quand il avait rencontré Fiona, que Bobby était toujours vivant, qu'il travaillait pour la guilde des Boba Fett) où il avait été sociable, aussi étonnant que ça puisse paraitre aujourd'hui (es soirées au Titty's étaient bien loin !) "Je m'appelle Alan... J'avais jamais vu pareil engin !"

J’y étais allée au culot ! J’y allais toujours au culot parce que dans les situations difficiles, ou disons, compliquées, c’était une bonne stratégie pour s’en sortir. Et ça avait fonctionné, une fois de plus. Car dans le cas contraire, je me serais retrouvée larguée comme une merde au milieu de ce no man’s land.

J’aurai aussi pu tomber sur un connard, un type qui aurait tenté de m’voler tout ce que je possédais. Mais … ça devait être mon jour de chance, vraiment, et un peu plus quand je m’installais à ses côtés, après avoir posé la caisse à l’arrière. Parce que non seulement le gars avait accepté de m’aider sans moufter mais en plus il était vraiment agréable à regarder. Enfin ça c’était uniquement accessoire, étant donné que j’pouvais pas de mon côté, m’vanter d’être une bombe. Disons que ça allait peut-être rendre la suite moins catastrophique, juste un peu moins. J’aurai le temps de changer d’avis en me retrouvant face à Chinook.

En attendant la chance continuait de me sourire quand le gars annonça qu’on allait à Salt Lake. Je tournai la tête légèrement de son côté, mon foulard bien en place, et fit une grimace :

- Ha Zut, j’aurai espéré que t’allais au moins jusqu’à New York !

Puis quand il me regarda, sans doute en se disant que je n’étais qu’une emmerdeuse, je rigolai en coup en rajoutant :

- J’déconne ! Salt Lake, c’est parfait ! Et à vrai dire, c’était mon objectif de départ, mais…j’ai voulu tenter le coup d’aller plus loin.

Je fis une moue, parce que ce coup de poker s’était méchamment retourné contre moi. Puis je me tournai vers mon chauffeur improvisé pour le dévisager tandis qu’il se présentait.

- Enchantée Alan, moi c’est Evell, dis-je avec nonchalance.

Je me tournais ensuite vers l’arrière pour voir mon Ulm disparaître peu à peu sur la ligne d’horizon au fur et à mesure qu’on s’éloignait. Je fis une nouvelle moue dépitée.

- Ouais, on a réussi à en remettre quelques-uns en état avec des potes et on tente de relancer un service de courrier. Mais là, comme tu as pu le voir, je viens de niquer un de nos meilleurs appareils.

Je soupirai bruyamment avant de poser mon coude sur le bord de la fenêtre, regardant autour de moi. J’avais déjà remarqué la carrosserie très spéciale de ce vieil engin et je souris en commentant :

- Ta caisse aussi, j’n’en avais jamais vue des comme ça, avant aujourd’hui. Elle est très classe !

Puis après un temps de silence, je le remerciai, d’un ton plus bas, esquivant son regard :

- Et au fait,.. merci de m’avoir dépannée. Et désolée pour tout à l’heure, quand…on a failli se télescoper conclus-je avec un geste imitant l’accident qu’on avait failli avoir avec mes deux mains.